En filmant des hommes et des femmes qui fouillent dans les poubelles ou ramassent les rebuts des récoltes (Les glaneurs et la glaneuse, 2000), Agnès Varda saisit la réinvention de pratiques de récupération anciennes qui avaient résisté à bas bruit au XIX è et XX è siècles, à de puissantes logiques de redélimitation de la propriété.
Si la petite propriété rurale plonge ses racines dans l'héritage féodal de l'alleu, "terre libre", elle s'élargit surtout grâce à la Révolution française et à la vente de biens nationaux.
(...) comme le rappelle en effet Thomas Piketty, peu de sociétés auront été aussi inégalitaires que la France du début du XXè siècle, la concentration des richesses y étant certainement plus forte que sous l'Ancien Régime - le centile le plus fortuné détenant à lui seul plus de la moitié du patrimoine national , les quatre cinquièmes des Français ne possédant quasiment rien. (Thomas Piketty "Capital et idéologie", p.163)
À trop parler du vol, de ses acteurs et de ses procédés, ne risque-t-on pas d'impressionner ou d'inspirer les esprits sensibles, tout particulièrement cette jeunesse dont on redoute la dérive délinquante ?
La garantie de sécurité devient le premier argument commercial des banques au début du XXè siècle. "Ne gardez chez vous ni argent ni valeurs", martèle le Comptoir national d'escompte, dont la publicité rappelle les "graves périls" auxquels s'expose le propriétaire négligent. Alors que le Cédit Lyonnais comptait 400 locataires de coffres en 1885, ils sont déjà plus de 8000 en 1895: 'l'institution des coffres-forts" ( G. d'Avenel "Le mécanisme de la vie moderne, p.272.) est en effet le fer de lance de la "démocratisation du commerce et de l'argent", même si son audience reste limitée aux plus fortunés.
Les prédations sont nécessairement liées à l'inégale distribution des ressources, ainsi qu'aux effets de stigmatisation qui l'accompagnent.