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Critique de Deleatur


On connaît la phrase de Rousseau : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile ». Et le philosophe de condamner sans appel le principe de propriété par le célèbre « vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne ».

De fait, on oublie souvent à quel point la propriété est une construction historique et culturelle. C'est le grand mérite du livre d'Arnaud-Dominique Houte que de rappeler cette réalité, et de l'ancrer dans la dimension qui nous est la plus proche, celle des deux derniers siècles. le propos de l'ouvrage est de cerner l'avènement et l'enracinement durable d'un nouvel imaginaire de la propriété en France, à partir de la période 1830-1880. Cet imaginaire se formule avec la Révolution française, lorsque le législateur veut mettre fin à la double tutelle que représentent la grande propriété féodale et la propriété collective des communaux. Un idéal bourgeois de la possession individuelle s'épanouit alors : comme l'écrit Paul Leroy-Beaulieu en 1882, la propriété est sacrée « parce qu'elle n'est plus un privilège et que chacun peut y avoir accès ». Ce qui revient précisément à oublier au passage toute référence à la propriété collective, mais comment s'en étonner quand Leroy-Beaulieu est l'un des chantres du libéralisme dans la IIIème République naissante ?
La force de cette idéologie n'est pas tant de reposer sur la réalité de la propriété (très partielle, très inégalitaire) que sur le désir de la propriété, qui est quant à lui universellement partagé, y compris au sein des classes populaires. Une civilisation de propriétaires prend ainsi forme au XIXème, et elle impose un rapport aux biens et au vol dans lequel nous baignons toujours. C'est cette odyssée des possédants et de leurs déboires face aux voleurs qu'Arnaud-Dominique Houte retrace ici dans un style très clair, en s'appuyant sur des sources aussi bien statistiques que politiques, littéraires ou cinématographiques.

L'ouvrage s'achève sur la fin du XXème siècle, mais un dernier chapitre en guise d'épilogue prolonge pourtant les questionnements jusqu'à nous. Prudent, l'auteur les laisse à l'état d'hypothèses, en relevant modestement que le manque de recul réduit l'historien à un rôle de témoin parmi d'autres, noyé comme les autres dans une masse de données immédiates dont il est difficile de s'extraire. le portrait qu'il dresse n'en est pas moins parlant : celui d'une société de propriétaires privilégiant depuis les années 1980 la sécurité sur les libertés, en un choix qui se trouve à l'origine directe de notre état d'urgence permanent.
Cette morale propriétaire qui s'est fortifiée au contact de plusieurs générations de voleurs pourrait-elle être contrainte aujourd'hui de se renouveler face à l'affirmation de nouveaux idéaux ? Pourrait-elle céder à moyen terme devant ces idées follement subversives que l'on voit ré-émerger, telles que la propriété collective, le partage et le libre usage des biens ? Poser la question, me semble-t-il, c'est déjà y répondre, mais il est vrai que je suis d'un naturel notoirement pessimiste.
Quoiqu'il en soit, voilà un beau livre d'histoire qui questionnera les contradictions et ambiguïtés de chacun sur le sujet. Un grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cet envoi lors de la dernière opération Masse critique.
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