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Critique de UnKaPart


Tel Clint Eastwood caracolant dans Pale Rider, il nous arrive tout blême et tout poussiéreux après sa chevauchée depuis le fin fond des archives départementales.
On le connaissait surtout pour ses travaux sur la gendarmerie. Depuis, il a trouvé la lumière et décidé de s'intéresser aux gens de l'ombre à travers Propriété défendue, ouvrage qui ne porte pas sur les châteaux forts mais sur les voleurs.
Entre foufous de la matraque et malandrins, voici l'historien des gens pas fréquentables : Arnaud-Dominique Houte.


Sur la période concernée (des années 1830 aux années 1970), Propriété défendue livre une étude magistrale de son sujet. On n'est pas volé, ce qui est heureux, quoique contradictoire avec le propos, mais vaut mieux ça que l'inverse.
Alors attention, on s'embarque dans de l'érudit, du dense, de l'exigeant. S'agit pas d'arriver là-dedans en touriste. Les bases sont considérées comme connues, autant dire que des notions élémentaires d'histoire sont indispensables. Si ce n'est pas votre cas, je vous conseille de réviser d'abord en allant jeter un oeil à la collection Points Histoire aux éditions du Seuil, qui propose de très bonnes synthèses, rédigées par des pointures à rendre jaloux Berthe au Grand pied (sans s pour le coup) et accessibles tant pour les lecteurs que leur porte-monnaie en version poche. La tranche 1871-1914 est d'ailleurs traitée par le même Houte avec le même brio dans la bibliothèque (ça nous change du colonel Moutarde démasqué comme un bleu dans le salon avec le chandelier).


Or donc, le vol. “Le vol, c'est la propriété” ont dit tout un tas de gens à la suite de Pierre-Joseph Proudhon. C'est lui qui a commencé avec son célèbre “la propriété, c'est le vol”. Raymond Babbitt a tranché (avec raison) le débat : la propriété, c'est la propriété et le vol, c'est le vol.
Houte étudie les deux, comme ça, tranquille, pas enquiquiné par les questions de tatati c'est tatata et vice-versa. Malin.
Qui vole ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Qui est volé ? Comment les victimes le vivent-elles ? Comment la société perçoit-elle le vol ? Comment se protège-t-elle ? Que fait la police ? (Question intemporelle…) Comment l'État s'adapte-t-il avec son éternel train de retard, tant dans le domaine législatif qui fournit les outils théoriques, que dans l'application pratique via l'appareil judiciaire ?
En ressort non pas le vol mais une pluralité de vols. Variés, entre larcins de susbsistance, pillages de guerre, escamotages spectaculaires (La Joconde) et surtout fauche de convoitise dans une société de consommation de masse qui produit mécaniquement une masse consommée de vols. Des vols inégalitaires, à l'image de notre magnifique société moderne qui n'a au fond pas grand-chose à envier à celle de l'Ancien Régime. le vol frappe d'abord les moins nantis. Les juges sont plus cléments avec les bourgeoises kleptomanes de la bonne (sic) société qu'avec ce pauvre – dans tous les sens du terme – Jean Valjean, envoyé au bagne pour une bouchée de pain. La législation suit le même chemin à “encadrer” (comprendre “interdire”) les pratiques de glanage, ramassage, récup, qui profitaient aux plus démunis. Jusqu'aux ordures ménagères qui se retrouvent “propriétarisées” !
Bienvenue dans un monde de droite (aka la France).


On pourra m'objecter que le père Valjean cité plus haut s'en tire à bon compte, vu qu'il s'agit d'un personnage de fiction. C'est pas faux. T'inquiète, Propriété défendue regorge d'un tas d'exemples de vrais gens envoyés en vacances à l'ombre pour des cacahuètes. L'adage dura lex sed lex n'aura jamais été si bien illustré. Houte cite le Jeannot et d'autres bandits de fiction, comme les Pieds Nickelés (j'adore !), Fantomas et Arsène Lupin. Romans, BD, cinéma… et discours politiques, tout l'univers des représentations y passe. Parce que le vol, c'est du fait concret répertorié par pleins cartons dans les archives judiciaires, mais pas que. L'étude d'une société passe par les représentations qu'elle produit, qui sont autant de sources historiques en ce qu'elles racontent les mentalités, le contexte, les évolutions. Qu'elle se veuille reflet fidèle, portrait en négatif, hyperbole, fantasme, académique ou iconoclaste, moralisatrice ou rebelle, une représentation, toute fictive qu'elle soit, raconte quelque chose de la réalité historique qui l'a vue naître.
Propriété défendue aurait pu être une histoire-bataille des grands affrontements entre gendarmes et voleurs ou une histoire sérielle pleine de tableaux de chiffres, courbes statistiques et graphiques arides. Bien sûr qu'il y a du fait marquant et du chiffre, qui restent les outils de base de l'historien, mais il y a, par-dessus, un récit autour de deux intrigues entremêlées, celle du vol et celle de la propriété. Ce livre raconte son sujet, c'est pas juste un Powerpoint XXL qui se bornerait à la présentation soporifique d'un travail de recherche.


Seul regret, devoir attendre quelques années une édition augmentée intégrant la toute fin du XXe siècle et le début du XXIe – évoqués en épilogue pour la traditionnelle (et très pertinente) ouverture en conclusion.
Parce que deux éléments font sentir leur absence dans cet ouvrage :
1) le meilleur tuto pour protéger sa maison des cambriolages, à savoir le film Maman j'ai raté l'avion (1990).
2) Un chapitre consacré au FNLJ (Front de libération des nains de jardin) qui a beaucoup fait parler de lui entre 1996 et 2009. Derrière l'aspect débiloïde apparent, il y a matière à étude. Quand le vol devient potache, c'est bien le signe de sa banalisation dans les mentalités comme dans les faits. Je ne pense pas que l'auteur me contredira sur ce point. Arnaud, tu as l'occassion de devenir l'historien des nains de jardin, ne la laisse pas passer.
Que le seul défaut de cet essai soit l'absence de nains de jardin en dit long sur sa qualité à tous les niveaux (fond, forme, méthodologie…). Propriété défendue s'impose comme un ouvrage de haut vol !
Lien : https://unkapart.fr/propriet..
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