Almuric est le douzième et dernier recueil consacré aux récits aventures / fantastiques / fantasy du pionnier texan de l'entre-deux-guerres. Clairement pas le meilleur pour découvrir son œuvre, mais indispensable pour redécouvrir l’incroyable imagination d’un auteur largement en avance sur son temps qui a contribué à toutes les littératures genresques. Outre l’un des pères fondateurs de la fantasy moderne (qui ne naît ni avec les folkloristes victoriens ni avec les sagas de JRR Tolkien), il est aussi le chaînon manquant entre les héritages de Rice Edgar Burroughs et de Michael Moorcock (qui lui doit tant)… Bref, c’est jour de grande aventures / Day of High Adventures ! ^^
Almuric :
J’ai déjà dit tout ce que je pensais du récit qui donne son tire à ce recueil :
http://www.babelio.com/livres/Howard-Almuric/386178/critiques/886539
Le Jardin de la peur :
En partant du voyant texan James Allison qui se souvient de toutes ses antérieures (le concept sera repris par Michael Moorcock pour son "Hypercycle du Multivers" et Frank Herbert pour son cycle "Dune"), l’auteur joue avec les mythes, les légendes et les contes. Dans une ambiance préhistorique, on commence comme la légende de Tristan et Yseult, on poursuit comme le conte de Raiponce enfermée dans sa tour, et on termine comme Siegfried et Brunehilde, sauf que le dragon est remplacé par une horreur ailée et l’anneau de feu est remplacé par un jardin de vampires et voraces fleurs carnivores voraces, sujets végétaux d’un tyran antédiluvien… Les tâcherons habituels recycleront cette histoire en conaneries habituelles, mais Michael Moorcock lui rendra hommage avec le clin d’œil du sorcier jardinier dans son "Le Chevalier des épées"… ^^
La Voix d’El-Lil :
Grosso modo, c’est R.E. Howard qui invite son pote H.P. Lovecraft à faire un safari en Afrique et ils tombent sur une cité perdue et tout le toutim habituel... Le Maître texan se moque du Maître de Providence alors même que le côté épique est presque aussi bon que le côté comique... Bref, une bonne marrade et un bon moment : si quelqu’un pouvait se servir de tout cela pour faire un chouette fanfilm, je serai ravi !
La Hyène :
On sent le récit howardien de jeunesse avec un héros énamouré et un récit hypersexualisé quoique traité de façon pudibonde. Le jeune Steve est opposé à l’homme-fétiche Senecoza, sorcier et lycanthrope de son état, pour emporter le cœur de la belle, sémillante et progressiste Ellen Farel… C’est naïf certes, c’est assez intéressant de voir transposés à l’Afrique les codes du western et du fantastique. À quand le weird west africain ?
La Sonnerie de trompettes :
Ce récit fleur bleue met en scène la romance entre la mensahib Bernice Andover et le yogi Ranjit Bhatarka… Mais la morale est sauve puisque que l’amour n’est pas consommé entre l’occidentale et l’orientale car ce dernier n’était pas ce qu’il semblait être ! Néanmoins un texte très beau, qui aurait pu nourrir un excellent roman d’amour tellement je me suis pris au jeu de cette histoire écrite à quatre mains avec F. Thurston Torbett, amateurs de mystiques orientales, lors d’un des nombreux passages de R.E. Howard en clinique...
Le Cobra de rêve :
Une courte nouvelle à la fois fantastique, onirique et horrifique qui annonce avant l’heure les beaux jours de Freddy Krueger (remember "Les Griffes de la nuit" / "A Nightmare on Elm Street") !
Le Fantôme sur le seuil :
Une petite ghost story où un opposant à la tyrannie du chef anglais Oliver Cromwell est sauvé par le fantôme de son ancêtre, opposant à la tyrannie du chef danois Barbe-Rousse… Si vous déjà lu du cape et d’épée celtique en général ou "Rigante" de David Gemmell en particulier, vous serez déjà en terrain connu !
Delenda Est :
La nouvelle se coule dans le moule des bonnes vieilles ghost stories, mais impossible de ne pas voir ici le prologue d’un récit autrement plus ambitieux et plus abouti avec cette histoire de roi vandale hanté par le fantôme d’Hannibal !
Le Fléau de Dermod :
Une petite ghost story se déroulant au Connaugh certes, mais aussi une belle nouvelle sur le deuil et le chagrin ! Car en affrontant dans la lande le spectre de Dermod O’Connor sur la lance nocturne, le narrateur fait face à la douleur d’avoir perdu sa sœur jumelle Moira…
La Vallée Perdue :
Un récit totalement lovecraftien sauf qu’on remplace l’érudit par un cowboy et le stylo par un pistolet (et les Pictes par des Toltèques ^^). C’est donc tout naturellement qu’on glisse du western à l’horreur, avec vendetta texane qui se poursuit en traque/cavale se terminant dans une ancienne cité olmèque habitée par des créatures inhumaines et un horreur sans nom… Et on pousse le vice lovecraftien jusqu’au suicide du narrateur ! Dommage que la caractérisation soit aussi légère, car sinon l’ensemble aurait été nettement tiré vers le haut. Je comprends maintenant parfaitement pourquoi un réalisateur comme Neil Marshall déclare s’inspirer de l’héritage howardien car ce récit ferait un film du tonnerre !
Le Roi du Peuple Oublié :
A l’aide d’une technologie alien, un savant fou occidental souhaite ressusciter Gengis Khan pour devenir le maître de l’Asie puis du monde ! Et on ajoute des pillards mongols, des araignées géantes, des barrières d’énergie et des rayons de la mort… Est-ce un récit plus pulpien tu meurs ? Non c’est du new wave avant le new wave ! Quel dommage que l’auteur n’ait été au bout de ses idées au lieu d’en rester à un triangle amoureux bien bancal…
James Allison :
James Allison qui attend la mort en remémorant ses vies antérieures, c’est une allégorie de l’auteur texan dépressif qui trompe son mal de vivre en se plongeant dans ses créations… Il est intéressant qu’on passe des héros aryens aux héros celtes, puis des héros celtes aux héros amérindiens : l’auteur s’émancipe du racialisme de ses éditeurs et de ses lecteurs, bref du racisme ordinaire de son temps, pour annoncer avant l’heure les aventures de ce bon vieux Rahan d’un côté, celle des héros métempsychiques de Michael Moorcock d’un autre côté. (et même quand l’auteur parlent d’aryens, on voit bien qu’il parle des indo-européens dont se place plus sur un terrain historique que génétique, et puis les héros blonds aux yeux bleus existaient bien avant que n’existe le mot aryen ou le mot race : c’est ce qu’on appelle les archétypes universels, et je suis obligés de le rappeler aux bien-pensants persuadés que la Fantasy est un genre fondamentalement raciste)
Le Cavalier Tonnerre :
On reprend étonnamment la structure d’Almuric avec une première partie intimiste avec un héros mal dans sa peau, puis une deuxième partie très pulpienne où le héros renouant avec son véritable moi est confronté à une civilisation décadente qu’il devra vaincre pour s’accomplir. Sauf qu’ici on est dans le western et pas dans la Science-Fiction ! John Garfield est-il la réincarnation de Cœur de Fer ou est il un schizophrène qui se croit la réincarnation d’un héros comanche ? Les deux options sont possibles et l’auteur traite sur un pied d’égalité histoire américaine et histoire amérindienne à une époque où les peaux-rouges ne sont que des sauvages sanguinaires tous justes bons à se faire massacrer par les vertueux hommes blancs. De quand date ce récit ? De 1933 : c’est INCROYABLE ! Vive l’amerindian fantasy !!!
Nekht Semerkheht :
Entre guérilla apache et invasion comanche, le conquistador vétéran Hernando De Guzman s’allie à la courtisane aztèque déchue Nezahualca pour s’emparer du trésor et du pouvoir d’un sorcier égyptien immortel retranché dans une forteresse cachée… Cela aurait été génial si le récit inachevé n’était pas resté à l’état de synopsis développé et c’est bien dommage !
Le Tentateur :
Un beau poème qui rappelle s’il était besoin que l’auteur à toujours été tenter par l’idée de rejoindre le Grand Néant…
Beaucoup d’inédits dans ce tome grâce au travail de moine cistercien de Patrice Louinet, notre spécialiste mondial de la question, qui ici signe l’introduction, la traduction et la postface ! Il nous décrypte l’œuvre howardienne de main de maître et nous fait partager les heurs et les malheurs du colosse texan et de son mal de vivre. Avec le recul, en tant qu’archéologue de la Fantasy je trouve vraiment triste que toutes les pistes explorées par l’auteur soient restées en l’état durant des décennies, alors que des générations d’auteurs américains se sont vautrés et englués dans du Med Fan ni médiéval ni fantastique… Tous ces récits riches de potentialités me donnent furieusement envie de reprendre le travail là où l’a laissé inachevé l’auteur texan : je veux de nouvelles aventures d’Howard et Lovecraft en vadrouille, je veux du weird west africain, je veux que memsahib et son mystique vivent leur amour interdit, je veux des héros irlandais luttant contre Oliver Cromwell, je veux que Genséric et Hannibal abattent Rome, je veux du western fantastique/horrifique, je veux que Gengis Khan revienne d’entre les morts pour unifier le monde, je veux que le conquistador qui voulait être roi affronte la horde sauvage comanche, et je veux de la fantasy amérindienne par le Grand Manitou !
3,5 étoiles arrondies à 3 en raison de tous ces courts récits qui m’ont quand même frustré de ne pas être allés plus loin (mais qui en l’état vont plus loin que bien des auteurs parfois bien postérieurs). Je suis juste un peu déçu que les illustrations de Stéphane Collignon soient bien moins présentes qu’à l’accoutumée dans la collection… (Quand est-ce qu’on lui confie des illustrations de couvertures, ou mieux des bandes dessinées : tout ce qu’il fait est excellent !)
Lien :
http://david-gemmell.frbb.ne.. Commenter  J’apprécie         400