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Critique de Osmanthe


Vivre ! Comme un cri d'espoir, et de désespoir, lancé à travers la campagne chinoise des années Mao. C'est le récit d'une histoire familiale marquée par le dur labeur aux champs, l'amour et la solidarité intra-familiale, des épreuves et des deuils terribles, et quelques joies, magnifiées par la simplicité et les capacités de résilience de ce peuple attachant. C'est le roman de la famille Xu s'inscrivant sur près de quatre décennies dans le grand roman de la Chine maoïste. Un chef d'oeuvre !

Le premier narrateur est un voyageur parti recueillir des chansons populaires dans la campagne chinoise. Il va y rencontrer Fugui, un vieux paysan qui l'intrigue, parlant à son buffle en lui donnant plusieurs noms (Fugui, Jiazhen, Fengxia...). Fugui va lui raconter l'histoire de sa vie, depuis le jour où elle a basculé une première fois. Au départ fils unique d'une famille aisée, marié à une femme également de bonne famille, Jiazhen, il se rend régulièrement en ville où il profite d'abord des plaisirs des bordels, puis plus dangereusement des jeux d'argent, dont il devient accroc...jusqu'à être ruiné.
Sa femme savait ces travers, a subi, mais fait preuve de dignité et d'une formidable compréhension en lui pardonnant. Malgré la perte de leur maison et l'obligation de se mettre à travailler une terre qui ne leur appartient pas, le couple devenu pauvre restera uni, aura deux enfants, Fengxia puis son petit frère Youqin. Pour manger, et pas toujours à sa faim, la famille doit trimer sans cesse dans les champs, travail de la terre souvent épuisant et terriblement frustrant quant aux résultats des récoltes, trop tributaires de facteurs extérieurs, aléas climatiques et orientations politiques sous les expérimentations successives de l'ère Mao. Les parents se saignent aux quatre veines dans l'espoir que leurs enfants connaissent un meilleur sort dans la société...Mais lorsque la chance semble enfin sourire, de dramatiques coups du sort vont anéantir ces joies trop brèves et disloquer bien malgré elle cette famille unie.

Ce roman est voué à rester très longtemps dans ma mémoire, tant il m'a marqué. Tout y est admirable. Le rythme, les surprises, le sens du réalisme et du tragique, et même si les personnages versent beaucoup de larmes, je n'ai pas eu la sensation d'excès, tellement le destin s'acharne sur la famille, m'amenant moi-même au bord du craquage. L'émotion est omniprésente, tellement on vit avec cette famille, partageant ces joies dans le regard d'un enfant, mais aussi et surtout leurs peines immenses dans des deuils répétés comme une malédiction. Car l'auteur sait aussi nous rendre ses personnages formidablement attachants. Sans pour autant les décrire véritablement, nous apprenons à les connaître au travers de leur comportement, de leurs réactions dans l'enchaînement des scènes familiales. Ce parti pris allège le récit de descriptions superflues, et renforce la tension dramatique autour de la destinée de ces personnages.
L'auteur nous montre des êtres extraordinairement courageux, et des portraits de femmes admirables, en particulier Jiazhen, mère de famille exemplaire se sacrifiant jusqu'au bout pour les siens, véritable pilier de sérénité dans la famille. Car son homme Fugui, qui en tant que narrateur dresse finalement lui-même son portrait, apparaît bien imparfait. Souvent dur avec ses enfants et pas toujours bien inspiré dans ses choix pour sa famille, cet homme humble devant l'adversité et sans doute pudique a au moins le mérite d'avoir vraiment aimé les siens et fait de son mieux pour atténuer la difficulté de leurs conditions de vie. Il souffrira toute sa vie d'en avoir été responsable par son comportement initial irréfléchi, et ce sentiment de n'avoir pas vraiment été à la hauteur. Mais il se sera battu et comme par miracle, seul, il est toujours en vie...

Ce roman est aussi un témoignage très instructif sur les phases successives de l'ère Mao, à travers le vécu de cette famille, et le sort réservé à des personnages plus périphériques qu'elle va côtoyer. L'enrôlement forcé de dizaines de milliers d'hommes dans le Guomindang de Chiang Kaï-shek, qui connaîtra la déroute face aux forces communistes de Mao au sortir du second conflit mondial, le Grand Bond en avant lancé en 1957 (tout le monde doit donner son acier ménager pour fabriquer des petits hauts-fourneaux qui produiront de l'acier), politique de développement qui conduira finalement à la Grande famine en 1961, et enfin la terrible répression engagée en 1966 avec la Révolution culturelle et ses intraitables gardes rouges.

Sans projeter cette impression sur la version originale chinoise, la traduction française nous livre un style d'écriture à la fois fluide et simple, sans pour autant concéder en qualité littéraire.

Au total, si j'avais déjà fait de belles découvertes de littérature chinoise, ce roman de Yu Hua, leçon d'humilité devant la vie et le destin, mais aussi de ténacité, emporte tout sur son passage...A tel point que j'ai finalement décidé de le ranger dans cette mini-sélection contrainte des six livres pour une île déserte. Et une forte envie de découvrir l'adaptation cinématographique du même titre signée du grand Zhang Yimou ! Ainsi bien sûr que d'autres oeuvres de Yu Hua.


PS : pour la petite histoire, avec ma très modeste expérience pratique du chinois, prononcer Fugui "Fougoueille", et Jiazhen "Tiadjeune"...enfin, jusqu'à contradiction qui sera volontiers au minimum débattue !


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