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Critique de 4bis


Scène de petit déjeuner à Guernesey.
Madame Hugo sirote sa tasse de thé tandis que Monsieur feuillette le journal.
- Doudou, tu crois qu'on pourra aller faire un tour tout à l'heure, demande Madame. le temps sera assez dégagé ?
- Nuages et éclaircies, répond Monsieur. La lumière et les ténèbres rassemblés en un même après-midi. le hasard qui n'est jamais que le bras du destin orchestrera les vents. Et ballotées par ces forces sifflantes et grimaçantes, les ondées fracasseront les inexprimables espoirs d'une horde en mal d'abri. le haut, le bas et dans l'ombre même des nuées hostiles, le miroitement d'un rayon que rien ne vainc. Il y a du mage dans cet oracle car le nuage est don. Et lorsque les cieux se fracassent sur la terre, c'est de la semence divine d'une consécration qu'ils bénissent le sol. Mais ne crois pas que…
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Oh punaise ! Et comme à l'époque la fonction « pause » n'existait pas (contrairement aux bulletins météorologiques dans les journaux du matin qui sont parfaitement attestés, pensez donc !), ça pouvait durer des plombes (une éternité dans une seconde, en un instant comprimé hic, nunc et la création tout entière semper et ubique...., bon, bon, bon, ça va, j'arrête !).
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A la mesure d'un roman, ça donne une histoire dont la simplicité rappelle l'archétype des fables mais que l'on aurait gonflé de mille considérations érudites, discours, soliloques, réflexions philosophiques, précisions linguistiques que le grand Hugo aura cru bon nous communiquer. le projet est, je crois, de peindre les scandaleuses dérives de la monarchie anglaise et à travers ce tableau, de défendre des idéaux égalitaires sinon républicains français. Sans doute aussi que le grand âge du bonhomme lui a rendu précieuse l'idée qu'il nous transmettrait, un peu en vrac et comme un gros gros cheveu sur la soupe, il faut bien le dire, d'infinies connaissances sur les tempêtes en mer, les vents, le protocole régissant l'intronisation d'un pair et tant d'autres choses.
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On ne peut pas demander à Hugo d'être lapidaire. Ce serait imposer à la carpe d'être lapin, au fleuve de se faire gourde, à l'incendie, ampoule basse consommation (Aidez-moi, je suis contaminée !). Mais il m'a paru plus inspiré dans d'autres romans. Je me souviens notamment de Notre Dame de Paris où il explorait la dualité laid = monstre = paria / beau = bon = noble de manière beaucoup plus subtile qu'ici.
Gwynplaine est laid à l'extérieur mais beau à l'intérieur, même si, comme tout homme (du point de vue d'Hugo, hein), il contient en lui le germe de la tentation. Déa est belle et pure mais elle ne voit pas le monde tel qu'il est. Elle peut donc voir Gwynplaine dans la profondeur de sa vérité sans s'arrêter à son masque tragiquement ricanant. Masque qui est le fruit de la science mis au service de la corruption. Urus est l'adjuvant qui élève. Les nobles sont cyniques. le peuple est vénal et opprimé. Après ça déroule. de manière implacable mais sans aucune fantaisie, rebondissement ou subtilité. En dehors de leurs attributs essentiels à l'histoire, les personnages ne cachent ni ne révèlent rien. Ils sont tout entiers dans la fable qu'ils incarnent.
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Au passage, j'aurai glané quelques anecdotes intéressantes : l'origine des bouteilles à la mer qu'on retrouve dans tant d'histoires de pirates, une diatribe bien énervée contre les liens de la conjugalité (« la brutalité du mariage crée des situations définitives, supprime la volonté, tue le choix » Ouais, vas-y Totor, crame ton soutif ! J'ai moins aimé, plus loin, le beaucoup moins féministe « D'ailleurs il ne faut jamais dire à une femme un mot difficile à comprendre » sic !).
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Certains critiques, dont un qui a été remarqué par notre Patounet, ont noté l'érotisme inédit qui exsudait du roman. Bon, que les mieux gavés aux hormones printanières d'entre vous modèrent leur enthousiasme, ça va pas non plus chahuter le top 10 des écrits les plus torrides de l'histoire littéraire. Disons que Gwynplaine est vert et que la diabolique duchesse est ardente. C'est en revanche tout à fait saisissant de voir combien la conception hugolienne de la sexualité est empreinte de tension morale. C'est une faute et c'est même corrompre la pureté de l'aimée que de la considérer sous cet angle. La dualité entre la Sainte et la Putain n'a qu'à peine le temps d'être esquissée qu'elle disparait dans le fracas des événements sans autre dommage pour la Sainte (pauvre Madame Hugo !). Alors qu'on est dix ans après la parution des Fleurs du mal. Mais c'est sans doute une question de génération et de posture. Hugo se voulait pair de France ou au moins député, auguste et oracle. L'époque n'était pas aux scènes érotiques mal troussées par un ministre de l'Économie et des finances. En ces temps-là, ç'aurait fait tâche.
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Au terme de cette lecture, je suis contente de l'avoir menée, et d'en avoir fini. Il aura fallu la proposition des babelpotes pour m'y amener et stimulée par nos discussions, j'ai trouvé la motivation pour surmonter quelques longs moments d'ennui. Ce n'est pas, de loin, mon roman préféré et son auteur n'est pas non plus celui qui me parle le mieux. Mais Hugo est pour moi comme un vieil oncle au bout de la table des fêtes familiales. On l'écoute d'une oreille distraite décliner ses antiennes, on se moque in petto de ses tics mais sans sa présence majestueuse et grandiloquente, il y aurait comme un vide.
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