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Critique de R-MDominik


Est-ce un roman? Est-ce une autobiographie? Est-ce une monographie consacrée aux années 70? Est-ce un essai sur la fatalité?
C'est un peu tout çà à la fois. Une phrase résume assez bien l'entreprise en fait, «Il me semble qu'il existe un problème assez net dans la vie: comment sortir de l'imaginaire?»
Dans ce récit Fabrice Humbert ne juge pas, il cherche à comprendre les trajectoires de chacun des personnages, faits de doutes, d'espoirs, d'enthousiasmes et de désillusions. Il s'attarde sur les canards noirs, ceux qui rompent avec un destin écrit pour d'autres. Il se pose d'ailleurs la question «qu'est-ce qu'un milieu social? Une pénétration irrésistible de l'être par mille détails, mille conceptions du monde, mille pressions inconscientes qui nourrissent, forment, sanglent, étranglent, pour le meilleur et pour le pire.»

Une écriture, précise, des paragraphes courts, qui donnent parfois l'impression d'une juxtaposition de petites notes prises très vite au moment où les sensations naissent en vous. Un déroulé historique de 3 générations dont le point de départ m'a rappelé la visite du familistère de Guise, ce projet utopiste héritier du phalanstère de Fourrier. Cette Fraternité est protestante, et n'a pas la visée économique de l'autarcie qu'on retrouve me semble-t-il dans le familistère, mais il y a un peu de la richesse au service du peuple dans cette communauté.
Curieux à la lecture de la première partie, celle de l'évocation justement de la première génération, fondatrice de la Frater, je suis passé au long du roman par une multitude de sentiments, allant donc de la curiosité à l'agacement, mais en passant par l'exaltation.

La seconde partie m'a beaucoup plus concerné, comme une vision de ce que fut ma vie à certains moments, j'ai été certains de ces personnages, jusque dans leurs erreurs, leur innocence, leur révolte. Parfois des phrases qui remuent tout mon être. J'ai aussi été Fabrice amoureux de sa virginale Hélène, mon « pizza hut» s'appelait FTS et transportait en wagon-lits des anglais trop pâles vers Antibes – Juan les pins, vacanciers, buvant les bières que je leur servais, avec un mépris pour l'autochtone qu'ils ne tentaient même pas de masquer.
Cela a marqué pour moi, la fin de l'insouciance et de l'innocence aussi, je me suis retrouvé comme l'un des cousins de Fabrice, à travailler en bas de l'échelle sociale par pur idéalisme, pour vivre le quotidien de ceux que je croyais défendre, refus des privilèges, de l'abus de position sociale.
«L'imaginaire m'avait emporté. Je voguais à la dérive des rêves. J'étais allé jusqu'au bout de ce que peut permettre l'illusion, l'énervement des sens, la vie enfermée dans le crâne, c'était la fin de ma première existence, d'enfance et d'adolescence, entièrement dévolue aux rêves»
Cette partie du livre raconte surtout les errements de la génération post-soixante-huit, la mienne, celle de intransigeance, de l'ultra-gauchisme. Égarement d'enfants souvent nantis (ce n'était pas mon cas) petits-bourgeois en révolte, symptomatique de ce que l'un des personnages décrit comme «une arrogance aveugle, incroyable, des flots de mots. Celui qui parlait le mieux avait forcément raison. Tout çà a été le moment du verbe.»
Sauf que parfois il y a du somnambulisme dans le révolté qui dort.
Sauf que parfois lorsque vous voulez mettre en cohérence vos paroles et vos actes, vous vous retrouvez complice de crimes odieux, de l'opposition farouche aux «Brigades Rouges» ou à «Action Directe» il n'y a qu'un pas.
Comme disait Bourdieu aux étudiants en mai 68, «le pire c'est une révolution ratée, il ne vous le pardonneront pas », mais voilà, pour les post-soixante-huitards « le pire des dangers en histoire, c'est l'anachronisme»
Effroyable et destructeur. Qui broie celui qui s'est révolté.
La dernière partie tourne souvent au cours de sociologie sur les bobos, pour les bobos, avec moult circonvolutions autour des meurs de parvenus qui s'amusent, «misérablement» à Ramatuelle. le côté agaçant de ce roman, c'est aussi que parfois, longuement, l'auteur semble insister pour nous montrer qu'il a connu telle ou telle personnalité, qu'il a côtoyé la caste des inutiles profiteurs et leurs jouets.
Mais bon, cette «saga» familiale, je crois en fin de compte qu'on peut dire ainsi, mélange adroitement l'intime et le politique, évoque successivement les deux passions, certains diront les deux maux qui ont successivement régné ces 50 dernières années sur notre société, le politique et ce culte de l'argent auquel il a fait place.

Entre Eden et Utopie, «chacun, un jour ou l'autre, a eu sa part du paradis et puis chacun en a été chassé, comme d'habitude.
Bref, l'histoire d'une famille.»

Les propos entre guillemets sont extraits du livre de Fabrice Humbert
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