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Critique de Levant


Il est des ouvrages dans lesquels dès les premières phrases on a la certitude qu'on y sera bien. Comme une paire d'espadrilles dans laquelle on glisse ses pieds meurtris par une journée de course en ville.

Des espadrilles, tiens donc !

Nous voici à Mauléon. Vous connaissez ? La capitale de l'espadrille au pied des Pyrénées. Je veux parler de celles qui sont cousues à la main. de celles qui ont fait le bonheur des mineurs du Nord avant que les stylistes s'en emparent pour mettre en couleur et en valeur les pieds des célébrités dans le monde entier. Anne-Gaëlle Huon nous parle de cette époque bénie pour l'espadrille nationale avant qu'elle ne soit détrônée par la chinoise ou par une autre mode.

Mais l'espadrille est un prétexte. Un prétexte pour nous parler de ces dames quand elles décident de prendre leur avenir en main, de s'affranchir de la tutelle des hommes, puis de les concurrencer sur leur terrain, mais jamais les mépriser. Dans la première moitié du 20ème siècle, une femme à la barre ça fait jaser, ça fait des jaloux, les histoires ne sont pas loin. Mais soit, les demoiselles n'en ont cure. Il n'y a que trois règles chez elles : "ne jamais tomber amoureuse, ne jamais voler l'homme d'une autre. Ne boire que du champagne millésimé."

Quand Rosa, la petite espagnole, débarque en France pour gagner de quoi monter son trousseau et intègre l'atelier de montage d'espadrilles, elle n'imagine pas qu'elle fera la connaissance des demoiselles. Elles ont laissé derrière elles la vie mondaine de la capitale pour constituer leur micro société loin de Paris, à Mauléon. Elle y mène une vie trépidante à consumer dans l'insouciance du qu'en dira-t-on le pécule qu'elles ont constitué durant leur vie de cocottes. Spontanées, frivoles voire un peu fantasques selon les caractères, mais généreuses, elles accueillent Rosa dans leur maison quand cette dernière est rejetée par ses compagnes de labeur, jalouses de son talent.

Rosa n'imagine encore pas que sa chute sera le prélude à un formidable rebondissement. Entraînée par l'énergie des demoiselles, s'ouvre alors à elle un monde nouveau fait d'un curieux amalgame d'insouciance et de sérieux, d'autonomie et de solidarité, une ouverture à la culture et l'esprit d'entreprise. L'audace des demoiselles fera école. Rosa n'imagine pas qu'un jour elle fera la conquête de l'univers de la mode avec son talent et son imagination, tout en restant au pied des Pyrénées.

Il se dégage une énergie folle de cette écriture. Les phrases courtes roulent en cascade comme le torrent impétueux dévale les pentes de la montagne. Sous la plume d'Anne-Gaëlle Huon, l'histoire méconnue, mais vraie, de celles qu'on appelait les hirondelles, du fait de leur embauche saisonnière dans les fabriques d'espadrilles, est un contenant qui nous dévoile son contenu par petites touches. Un roman pour nous parler de la vie des femmes coincées qu'elles étaient entre leur rêve d'exister par elles-mêmes et leur condition de dépendance. Un bien bel ouvrage d'Anne-Gaëlle Huon qui n'élude rien des difficultés de la vie, des déboires et espoirs déçus mais conserve un optimisme attendri sur la vie pour qu'amour n'implique pas soumission. Une bien belle leçon de vie au féminin.
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