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Critique de charlesduttine


Les fantômes des pères.

Les histoires de fantômes font frémir, c'est bien connu. Ceux-ci viennent troubler les vivants que nous sommes. Étranges morts-vivants dont le rôle est de nous surprendre, d'instiller en nous de l'inquiétude et de nous faire douter de la frontière entre la vie et la mort. Qu'on pense aux récits de Mérimée, de W. Irving et surtout d'Henry James. Mais tel Janus, les fantômes ont également deux visages. Ils ne sont pas toujours malveillants et ceux des êtres proches disparus semblent nous accompagner de leur prévenance. C'est ce que l'on découvre, entre autres, dans le livre de Fawaz Hussain.

L'ouvrage de Fawaz Hussain est original par bien des aspects. Il se présente tout d'abord comme un journal du confinement. Narrateur-auteur, Fawaz Hussain nous livre son carnet de bord dans ce voyage incertain qui nous a ballottés entre sommets et creux de vagues, de l'apparition de la Covid à son évanouissement momentané et trompeur. C'est le compte-rendu d'une époque dont on ne sait quel regard nous porterons sur elle dans quelques années quand les pages de cette histoire seront définitivement tournées. Une crise est faite d'incertitudes et laisse ouverte la béance du présent à tous les possibles, et cet ouvrage accompagne tous les méandres de cette crise. En tout cas, ce livre est un bloc-notes où l'on voit le personnage principal réagir à tous ces événements, en tâtonnant, comme nous l'avons tous fait avec nos doutes et nos interrogations, sous la coupe de la Covid 19 « sa majesté infernale », comme l'appelle l'auteur.

Autre originalité du livre, c'est cette capacité de l'auteur à jouer avec les lieux et les temps. Tel épisode lui rappelle un lointain passé, celui de son enfance kurde dans la partie Est de la Syrie, ou encore un moment d'adolescence étudiante à Alep, cette ville fabuleuse, aujourd'hui « fracassé(e) » par la guerre, également Samarkand, autre ville éblouissante qui fut l'objet pour lui d'un récent voyage. On suit volontiers l'écriture primesautière de Fawaz Hussain, bien éloignée d'une linéarité conventionnelle, qui va aussi d'une époque à une autre, d'un cadre spatial à un différent. Une sorte de kaléidoscope où les anecdotes singulières, lointaines ou proches, viennent rejoindre la grande histoire.

Autre particularité, le regard porté par le narrateur sur son entourage. Nous découvrons le XX° arrondissement, là où il réside et ses voisins immédiats. Et lors de ses déambulations parisiennes, nous rencontrons avec lui tels ou tels personnages, souvent cocasses. C'est un regard distancié qui nous est offert, celui d'un Oriental toujours étonné du comportement de ses contemporains occidentaux. Une véritable « comédie humaine » nous est décrite au fil des pages. Il y a « le Serbe d'en face, le Français au déambulateur à roulettes, Monique la Marseillaise, ou Marie-Ange Martins qui pousse des râles atroces ». On croise également avec lui Malgorzata « qui incarne la bêtise humaine », « qui se fait appeler Marguerite et se prend pour Marianne, la figure symbolique de la République française ». On sent notre narrateur serviable par moments, agacé à d'autres, mais au regard toujours piquant et amusé devant cet éventail de l'humanité.

Enfin le fil conducteur qui donne la trame à ce récit est cette lancinante et émouvante adresse au père. L'isolement qui nous a été imposé a immanquablement replongé tout un chacun dans son univers intérieur, notamment avec les figures marquantes au plus profond de soi. Ainsi pour Fawaz Hussain qui, dès la première phrase, amorce un dialogue avec son père : « Père ! J'ai toutes les raisons de croire que cette année 2020 est celle de toutes les calamités ». Ce père disparu est néanmoins présent. Il l'accompagne dans les moindres détails de sa vie. Cet échange tient, comme il l'écrit étrangement, du « temps du parloir pour le prisonnier et son visiteur ». En l'apostrophant, le narrateur lui présente sa vie, son quotidien et ses réflexions. Il se remémore quelques moments de la vie d'autrefois, le rituel du café pris ensemble, le soutien du père lors de moments cruciaux et la tendresse manifestée lors d'un retour au bercail. Une légère culpabilité l'étreint aussi, regrettant les « égarements » d'un fils prodigue dans la vie parisienne en repensant à son père si intègre, si discret et si posé.

On ne s'étonne pas alors de voir apparaître la présence fantomatique de la figure paternelle. Tout commence dans le miroir de la salle de bains où sur l'image qui lui est renvoyée curieusement c'est le visage souriant du père qui se superpose. Etonnant dédoublement où les images du père et du fils se chevauchent et se retrouvent. Autre épisode, l'auteur attend un ami dans un café désert et à un moment donné une forte présence se fait sentir ; « je me suis retourné et j'ai découvert un homme vêtu d'une longue chemise, d'une veste bleue d'été et d'une coiffe blanche comme celle que portent tous les Kurdes et les Arabes de ma région ». Ensuite, d'une manière fantasmagorique et surréaliste, des scènes funéraires s'enchainent les unes les autres, comme une sorte de danse macabre, dans ce bistrot parisien.

Ce livre émouvant renvoie à quelque chose d'universel et d'essentiel pour chaque lecteur. En célébrant comme il le fait l'amour filial, Fawaz Hussain touche en chacun de nous une fibre qui ne demande qu'à vibrer, celle du sentiment de reconnaissance, de gratitude et d'espérance. Il est des livres salutaires et celui de Fawaz Hussain en fait partie, en nous invitant à renouer, à accueillir ou à nous réconcilier s'il le faut avec nos fantômes familiers.






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