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Critique de christianebrody


A travers l'histoire de Shim Chong, l'auteur fait le portrait d'une Asie déchirée par des conflits internes, ruinée par une grande misère et convoitée par les pays occidentaux. Riche en matières premières recherchées par l'occident, l'Asie prônant une politique de fermeture sur le monde est contrainte sous la menace de navires de guerre d'ouvrir des ports commerciaux et des comptoirs aussi bien aux britanniques, hollandais, japonais, français, russes. En ces temps de disette, de corruption, de mésentente et d'instabilité politiques, Shim Chong partage le destin peu enviable des gens tellement pauvres que leur existence même leur échappe.

Orpheline de mère, affligée d' un père aveugle, ne vivant que de la générosité des villageois, Shim Chong est vendue par sa belle-mère à quinze ans à des marchands chinois afin d'accomplir un rite chamanique favorisant l'éloignement des mauvais esprits pendant la traversée. Revendue peu après à une riche famille chinoise de Nankin ayant fait fortune dans le commerce du thé, elle devient la concubine du patriarche, un octogénaire à la libido en berne. A ses côtés, elle apprendra la sensualité, le plaisir de la chair, le chinois, se liera avec Guan, dernier fils eu avec la concubine principale et accessoirement propriétaire d'une maison de jeux et de plaisirs, le Pavillon du Bonheur et des Plaisirs à Jinjiang. A la mort de son protecteur, la perspective désagréable d'être vendue à nouveau à des paysans la pousse à persuader Guan de l'emmener. Au Pavillon du Bonheur et des Plaisirs, elle y perfectionnera ses talents artistiques, l'art de la conversation, deviendra une hwajia, assistante de la lingia, une sorte de mère maquerelle. Elle y trouvera l'amour en la personne d'un joueur de pipa appartenant à une troupe de saltimbanques. A la faveur d'une énième attaque des forces navales occidentales et du saccage que la ville subie, le couple s'enfuit avec la promesse de fonder une famille et se sortir de l'esclavage. Naïfs, ils se retrouvent prisonniers des fourmis blanches, des intermédiaires peu scrupuleux spécialisés dans le trafic humain. Rattrapée par sa condition de femme, elle atterrit dans une shumajia à Suzhou/Hangzhou, un des pires bouges qui tient lieu de marché où hommes, enfants, femmes sont tous traités comme une marchandise rapidement consommable et facilement remplaçable. Repérée par le propriétaire du Vent du Sud sis à Formose, une maison close spécialisée dans l'abattage sexuel et dont la clientèle se compose essentiellement de gens vendus comme elle, elle y découvrira les maladies vénériennes importées par les occidentaux, l'absolue détresse qui frappe les gueux, la solidarité entre miséreux, et que sa condition de femme lui permet d'échapper à l'enfer que subisse les hommes. Au gré de ses rencontres et des évènements sociaux et politiques, Shim Chong s'extrait de ce bordel, arrive à Tamsui, au Jardin de Bambous, une maison de plaisirs tenue par une femme extraordinaire qui ne reculera devant aucune dépense pour offrir un avenir meilleur à ses protégées. Les leçons de danses, chants, musiques portent leurs fruits et attirent une clientèle riche et occidentale. La renommée de l'établissement conjuguée aux talents de Shim Chong, lui permettent de devenir la concubine d'un vice-directeur de la Compagnie des Indes orientales au comptoir de Singapour où elle vivra pendant quelques années. Son contrat prenant fin, elle rentre à Tamsui dans un premier temps puis s'installe au royaume du Ryūkyu. Elle y ouvrira un restaurant-bar de renom et rencontrera son dernier amour en la personne du prince Miyako chargé d'administrer cet archipel pris en tenailles entre des luttes intestines que se livrent les petits seigneurs locaux, la main mise de la Chine et la volonté des occidentaux d'y faire commerce.

En douze chapitres, l'auteur retrace sur 55 ans l' incroyable destin d'une femme et de l'Asie du Sud-Est sur fond de guerre d'opium, d' enjeux commerciaux et culturels, de trafics d'armes, de luttes d'influence entre les petits seigneurs, de corruption, et d'impérialisme occidental. Tour à tour, son héroïne saura s'émanciper de cette misère grâce à sa beauté, à sa force de travail, à ses qualités morales et son intelligence de coeur. Toute illettrée qu'elle est, elle sera épaulée de façon inattendue dans son combat contre l'injustice d'être né-e pauvre. Chaque étape est une nouvelle ouverture sur le monde. On y parle beaucoup de prostitution mais c'est surtout le thème de la misère liée aux soubresauts de l'histoire qui est la trame principale de ce livre. Comparer au sort des femmes certes peu enviable, celui des hommes placés ans les mêmes conditions n'est guère reluisant; des bêtes de somme, des esclaves qui jonglent entre l'indigence, les maladies, la fatigue avec la mort au bout.

On y découvre aussi un autre art de vivre, d'autres coutumes, des paysages à la fois inquiétants et d'une beauté surnaturelle. Servi par une écriture fluide, ce livre a des aspects de documentaire soutenu par une foison de petits détails historiques, de chroniques de moeurs, de quête initiatique. Tout en reconnaissant les talents de conteurs de Hwag Sok-Yong, le ton étale qu'il choisit rend cette histoire légèrement enquiquinante. Entre les répétitions des malheurs qui surviennent à l'héroïne et ce rythme calme, égale sans accro, on finit par s'essouffler. C'est long, étiré et je comprends que l'on abandonne la lecture assez vite. S'il était parfait pour raconter les mésaventures de Monsieur Han, ici l'absence de puissance dramatique se ressent. L'esprit pragmatique de Shim Chong en fait une battante, elle cherche à survivre tandis que Monsieur Han, un homme amputé d'une partie de lui-même, est pris dans un engrenage qui le dépasse entièrement. Il n'y a pas de montée, de crescendo, c'est lisse tout le long. Ce n'est nullement une mauvaise histoire, au contraire! mais cette monotonie dessert cette saga. Je n'ai pas détesté mais je n'ai pas été transportée par cette histoire de cette Cosette qui se serait perdue dans le monde de Moll Flanders de Daniel Defoe ( excellent en v.o) revisitée à la sauce coréenne. le livre se conclut par une explication de la légende de Shim Chong et par un glossaire bien conçu.
Lien : http://www.immobiletrips.com..
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