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Citations sur Le wagon à vaches (12)

C'est depuis le Monument aux Morts que je sais que je chante faux. On ne s'en était pas aperçu, parce que je ne chante jamais. Ou alors quand je suis seul.
Mais il y avait ce monument aux morts à inaugurer.
Tout le monde avait son rôle. Les conseillers municipaux, les agents de police.
Les sociétés savantes.
Les fils des morts, les femmes des morts, les pères et mères des morts.
Il n'y avait que les morts qui n'eussent pas de rôle, comme leur nom l'implique .
Il était d'ailleurs superflu de penser aux morts: le monument était Là Pour Ça!
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-Comme à l'heure de notre mort , répète docilement Madeleine.
A l'heure de notre mort....Qui viendra après toutes ces heures de notre vie qu'on aura passées à récurer les casseroles, à copier des factures, à élever des enfants pour les casseroles et les factures....Ces heures de notre vie dont nous n'avons pas fait grand-chose, et voilà qu'elle se râpe, notre vie, et s'use, qu'elle s'effiloche comme une veste de bureaucrate.On s'est frotté à tant de gens.On a été mouillé par tant de pluies.Il en tombe, de la pluie, sur une vie d'homme.Sur nos vies à nous autres, le petit monde, monde des petits maux et de vie vivotante.
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Page 30

Tant pis. La littérature française, Dieu merci, peut se passer de mes services. Elle ne manque pas de bras, la littérature française, ça fait plaisir. Elle ne manque pas de mains. On en a pour tous les goûts, pour toutes les besognes. On a des anxieux, des maux du siècle, des durs et des mous, des bien fringués, des chefs de rayon. On a les officiels en jaquette, pour centenaires et inaugurations de bustes. On a les anarchistes qui portent un pull-over jonquille et qui sont saouls à onze heures du matin. Ceux qui sont au courant de l’imparfait du subjonctif, ceux qui écrivent merde, ceux qui ont un message à délivrer et ceux qui sont les gardiens de la tradition nationale. Les facteurs, les gendarmes. Ceux qui me font penser à mon cousin Virgile qui n’était bon à rien : alors il s’est engagé et puis il est devenu sous-officier — voilà où ça mène de s’engager. Les littérateurs engagés, les littérateurs encagés. Il y a ceux à qui le noir va bien, et ceux qui préfèrent le rose, et ceux qui aiment mieux le tricolore. Ceux qui ont le cœur sur la plume. Et les psychologues, et les pédérastes, et les humanistes, et les attendris, et les enfants du peuple à qui ça fait mal au cœur de posséder tant de culture à eux tout seuls, et les moralistes nietzschéens qui ont été élevés dans une institution de Neuilly. On a de tout, on n’en finit pas. On a ceux qui giflent les morts et qui conchient l’armée française, et puis qui se rangent, qui ne plaisantent pas avec la consigne. Les travailleurs de choc qui vous édifient des trente volumes de roman, et toute l’époque est dedans, il y a des tables et des index méthodiques pour qu’on s’y retrouve. Ceux qui font des conférences dans les provinces, avec trois anecdotes et un couplet moral planté dessus comme une mariée en plâtre sur un gâteau de mariage. Et les petits jeunes gens qui parlent tout le temps de leur génération. Et s’ils racontent en deux cent vingt pages qu’ils ont fait un enfant à la bonne de leur mère, cela devient le drame d’une génération.

D’abord, quand on parle de l’esprit d’une génération, je rigole. Voyez-les se tortiller dans leur pull-over, les petits gars. Écoutez-moi ça. On n’est pas comme nos vieux, nous autres. Nous, on est une génération désarmée, désaxée, etc. J’ai lu cela cent fois. Ou le contraire : nous, qui sommes épris de santé, d’énergie, de simplicité, etc. À présent, ils citent Kafka, ou Sartre. De mon temps, c’était plutôt Freud, ou Gide, ou Rimbaud. Les générations ont besoin de noms propres.

Moi aussi, j’aurais des noms propres à citer. Ceux de Barche, de Craquelou, de Ravenel ou de Pignochet. Des hommes de mon âge, des hommes de ma génération. Eux, ils ne faisaient pas de livres, et on ne parle d’eux dans les livres. C’était des remueurs de terre ou de ciment. Nous avons été mobilisés ensemble : bonne occasion d’éprouver ce qu’est au vrai une génération. La guerre se charge de les rassembler et de les séparer, les générations. Les bureaux de recrutement vous disposent les hommes en couches aussi distinctes que des stratifications géologiques. Untel classe tant. Au moins, c’était clair. Chacun à sa place, dans une couche d’hommes nés à peu près en même temps que lui. La voilà, sa génération. Présente, pesante, concrète. Pendant des mois, j’ai pu l’observer, dans ces mous villages du Nord, ma génération.
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Gardiens, gardés, tous pareils. Tous pris dans la même inconcevable mécanique. Nous, on était au plus bas, voilà tout. Au fond. Au-dessous de tout. Là où il n'y a plus de problèmes – enfin rien que d'infimes problèmes d'esclave, comme de trouver un peu d'eau ou de voler des patates, ou de rafistoler ses souliers à l'aide d'un bout de ficelle. Oui, au-dessous de tout...
C'est cela que je traîne avec moi. Rien que des souvenirs de peur, d'humiliation, de dépossession de soi. Expérience d'où naissent des certitudes rugueuses. On en vient à ne plus concevoir l'homme que soumis, aplati, écrasé. Et on essaye même plus de comprendre. On se tasse dans un coin. Sagesse de pauvre, banal et vieille comme la peur et la mort. Je ne suis pas un philosophe, moi. Un de ses penseurs à grosse tête. Les philosophes, il leur suffit de presser doucement sur un mot – sur le mot /existence/ par exemple (j'existe : qu'est-ce que cela signifie : j'existe?), et voilà, ça y est, la méditation se met à sortir et à s'étaler comme un pâte dentifrice. Égale, onctueuse, inépuisable. Je n'ai jamais été fort à ces jeux. Pas compliquées, mes idées sur l'existence ; et l'existence s'est chargé de les simplifier encore. Des circonstance comme la guerre, la captivité, ça ronge les mots et les fables dont on voudrait se masquer les réalités de sa condition. A la fin, il ne reste pas grand chose – cette amertume sommaire, cette passivité.
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- Une scène à utiliser pour le Wagon à vaches. Un aspect de la souffrance effarée des vivants enfouis dans l'opacité de l'existence. avec leur tendresse, leur détresse, leur colère. leur ridicule bonne volonté, leur impuissance déchirante. Je sais des choses là-dessus. Celles que n'importe qui apprend n'importe où - sur les bancs, dans la paille des cantonnements, parmi les meubles des chambres meublées... Voilà une bonne quarantaine d'années que je m'instruis. Quarante ans je devrais être depuis longtemps ce qu'on appelle un homme fait. Drôle d'expression fait. Comme un rat. On le dit aussi pour les fromages. Gras, mous, pourris, coulants Je ne suis pas encore à point, mais cela ne saurait tarder.
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Pendant des mois, j'ai pu l'observer, dans ces mous villages du Nord, ma génération.
Ce qui est sur, c'est que tout ce qu'on a écrit à propos de son inquiétude, de son désarroi et des ses aventures spirituelles, ça ne concernait pas Barche ni Pignochet, ça ne concernait ni Ravenel ni Craquelou. Et qu'ils s'en foutaient. Ils avaient eu leur jeunesse eux aussi, et leur misère. Mais pas de la misère originale. L'apprentissage à treize ans, les coups de pied au cul, le litre de rouge, les années de services, les jours d'hôpital, les mois de chômage, on ne peut pas regarder cela comme très neuf.
Tout leur passé, à mes compagnons, était fait de peines communes. On avait beau fouiller : rien d'autre à atteindre que le plus commun des peines communes. Une expérience vieille comme les pierres, dure comme les pierres, sans date. La même qu'avaient traversée avant eux leurs pères et les pères de leurs pères. Chacun son tour, et ça ne change jamais. même servitude, même décomposition dans la vacherie quotidienne.
Mêmes joies aussi, des joies courtes, des joies furtives, humiliées et mutilées.
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Scie (des établissements Scie) constate gaillardement qu'à une époque comme la nôtre on voit quand même de drôles de choses. Les autres disent que oui c'est bien vrai. Je le dis aussi. Nous voilà en règle avec la philosophie.
Drôle d'époque et drôles de choses. Des mots tout prêts, tout faits, familiers, usés et sans conséquence. Des mots qui simulent la pensée et qui préservent de penser. Si on pensait ce qu'on parle, où cela nous mènerait-il ?

Pp.105-106
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Le lieutenant Marole enseignait l'histoire dans un lycée breton. Il est passé de la théorie à la pratique : il surveille la construction des baraquements, encore que rien jusqu'alors n'ait paru le préparer à cette forme modeste de l'activité militaire. Chaque soir, en rentrant du chantier, il s'assied près du poêle, fume sa pipe, et lit les additifs 5 et 6 à la décision n° 43. On ne sait pas ce qu'il en pense.
— La question des chiottes, déclare-t-il posément, voilà comment elle se présente.
Il expose comment se présente la question des chiottes. Exposé sobre, précis. Et cette belle voix universitaire qui ne trébuche jamais, qui ne rate pas une syllabe. On a plaisir à écouter. On comprend que ça sert à quelque chose de sortir de Normale.
(Pocket, p. 148)
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Le Vieux retire sa casquette dès qu'il m'aperçoit, avec un empressement gauche.On n'est jamais trop poli quand on est pauvre.
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Je me roulerais à leurs pieds, entre les tables. Je ramperais. Je pleurerais, je bafouillerais, ce serait terrible. Je leur parlerais de l’âme, du péché. Et ils auraient honte, mon cher, ils auraient honte d’eux et de moi…
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