J'ai un peu fait la guerre, comme tout le monde.J'ai passé une heure ou deux étendu dans l'herbe à plat ventre, au bord d'une rivière, à tirer des coups de fusil.Je suppose qu'on appelle cela se battre.Je me suis donc battu, au printemps de l'an 40. Depuis longtemps, je me disais que cette chose- là finirait par arriver.Rien que d'y penser me faisait froid aux tripes. Je manque de dispositions pour la bagarre. Plutôt pétochard, pour tout dire. Le métier des armes, c'est bon pour les baroudeurs, les sabreurs, les gars qui en veulent, qui en redemandent, les intrépides, les impavides, les types qui ont du coeur et des couilles.Chacun ses plaisirs. Qu'ils s'en mettent jusque-là, de l'héroïsme, les mâles à gueule vache et à cuir dur.C'est leur affaire.Je cède ma part.( p.156)
Les vacances, c'est un mauvais moment à passer.Un dimanche qui durerait des semaines.
Ma rancune contre les vacances remonte aux étés de mon enfance.Chaque année, nous passions le mois d'août à la mer.
Papa y tenait: pour la santé des petits, disait-il.
Il s'en fichait bien, de notre santé. (...)
La vérité, c'est qu'aller à la mer constituait encore une distinction sociale, un privilège des élites. ( p.33)
Ce qu'on a trouvé de mieux, au lendemain de la Première Guerre mondiale, c'est d' honorer le soldat inconnu.Le héros anonyme.
Voilà qui définissait clairement, nettement, en termes irréfutables, ce qu'on proposait aux hommes comme situation dans l'économie de leur époque...(...)
Ces gros hommes officiels, je suppose qu'ils ne pensent à rien, en accomplissant les rites.S'ils avaient quelque aptitude à la pensée, ils se dispenseraient du rite.
S'ils pensaient quelque chose...Il ne faut pas trop leur demander.
Le culte de l'impersonnalité: le civil inconnu.
L'anonymat est contre nature, en quelque sorte.On y tient à son nom.On ne s'en lasse pas.
( p.14-15)
Une dame rousse s'est présentée en même temps que moi devant la boite aux lettres. Je me suis un peu reculé. La dame aussi s'est reculée.
- Mais je vous en prie, madame...
Sourire de la dame rousse à ce monsieur bien élevé. Je soulève le petit volet qui protège l'ouverture de la boite. La dame pousse sa lettre dans la fente. Hop, avalée. La dame s'éloigne, happée par une furieuse mêlée de citadins transpirants. Elle disparaît comme une lettre à la boite. Déjà elle ne se souvient plus de moi: je suis de ceux que l'on oublie tout de suite. Un type effacé, c'est ainsi que l'on me juge d'ordinaire. Un dessin vite anéanti par une gomme d'écolier. Il n'y a que moi pour penser à moi.
L'horreur de l'anonymat est un des traits les plus fortement marqués de la nature humaine.On a besoin d'une signature.Pour les grandes catastrophes, par exemple.Pas possible d'admettre qu'on ne connaît pas l'expéditeur. Alors, on l'appelle Dieu.Ou Hitler, Staline.On veut des noms.Pouvoir dire qu'on sait d'où ça vient.Ce qui explique l'histoire, la métaphysique, le journalisme, le Café du commerce et les discours ministériels. (..)
Du moment qu'il y a une signature, on pourra toujours s'y faire.Trouver le coupable, le responsable.Se livrer à un jeu quelconque de précautions, de répliques, mener un dialogue, ou du moins craindre avec un complément d'objet ; haïr avec un complément d'objet. Mais ce vide...
(p.12)
Georges Hyvernaud :
Le wagon à vachesOlivier BARROT retrace la vie et l'éphémère carrière littéraire de
Georges HYVERNAUD et évoque l'histoire du livre "
Le wagon à vaches".