Je vous dresse en quelques lignes le portrait du héros : un jeune panaméen, pauvre, noir, qui survit grâce à ses points alors qu'il déteste la violence, toxicomane à Harlem, flambeur, champion du monde de boxe, homosexuel, dandy jazz à Paris, qui perd son titre de champion sur un match truqué, amant de
Cocteau qui le pousse à reconquérir son titre, la fête encore et toujours, la mort dans la misère et l'indifférence à Harlem loin de son Paris chéri. Voilà, Alfonso Brown c'était tout ça. Je fais les paris qu'un biopic sortira sur les écrans dans les années à venir. Pas forcément une bonne idée à mon avis. Dur de trouver un acteur capable d'incarner un tel personnage et difficile aussi d'en trouver un pour interpréter le rôle de
Cocteau... Et puis, trop souvent les biopics sombrent dans un académisme plombant, écueil plus facile à éviter en B.D. Piège ici bien esquivé, "
Panama al Brown" est une jolie réussite.
La réussite tient en premier lieu, bien sûr, à son sujet. al Brown a eu un destin vraiment hors norme, bigger than life, romanesque à souhait et c'est toujours passionnant de se plonger dans la découverte d'une telle destinée. Et puis j'ai toujours trouvé que les boxeurs faisaient de bons personnages de fiction. Non pas que je sois amatrice de ce sport, au contraire, j'ai du mal à en voir, je souffre pour eux. Il y a dans le fait que des hommes se prennent des coups dans la gueule pour gagner leur vie quelque chose qui m'émeut et que je trouve révélateur d'une certaine violence sociale (il me semble que la grande majorité des boxeurs professionnels ne vient pas des CSP +). C'est bien sûr le cas de al Brown qui pour survivre n'a que ses poings, lui qui préfère danser, si possible avec un bel homme. Exploité par des managers inhumains, en butte au racisme, aux difficultés financières, al ne s'est pourtant jamais laissé aller au désespoir. Il a pris tout ce qu'il y avait à prendre, sur le moment, sans se soucier ni des conséquences, ni du lendemain. Flamboyant ! al Brown était flamboyant et lumineux.
Le scénario de
Jacques Goldstein est plutôt bien foutu. On découvre le destin de Brown à travers le regard d'un journaliste parti sur ses traces. Si le côté non chronologique du récit permet d'éviter un enchaînement d'événements trop factuel, il peut aussi parfois perdre le lecteur qui a parfois du mal à retrouver le fil de la vie de Brown, à savoir quand se situent les événements les uns par rapport aux autres. A ce titre, le petit dossier à la fin de l'ouvrage est un bon complément à la B.D.
Je regrette que Goldstein n'ait pas inclu dans son scénario l'incroyable anecdote sur les funérailles de Brown
une bande de soiffards de Harlem se faisant passer pour la famille du boxeur a dérobé son cercueil pour faire la tournée des bars, demandant dans chaque troquet aux clients et barman de payer une tournée à la mémoire du champion. Au petit matin, ils ont abandonné le cercueil devant un hôpital. Même au-delà de la mort, l'histoire de al a été folle !
Le dessin d'
Alex W. Inker participe de la réussite de l'album. Très simple et épuré, son noir et blanc à un grand impact. C'est un vrai plaisir de prendre son temps pour contempler chaque case, page après page.
Je remercie vivement Babelio et les éditions Sarbacane pour cette jolie lecture et surtout pour la découverte d'un homme dont la destinée extraordinaire m'a procuré beaucoup d'émotion.