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Critique de Sachka


Il est de ces lectures qui nous troublent profondément. Pour ma part, les romans de Kazuo Ishiguro en font partie. Sa plume empreinte d'humanité nous envoûte, nous enveloppe, lentement, très lentement, jusqu'à la dernière page, nous laissant avec ce sentiment de douce mélancolie si particulier, une fois que le voyage a pris fin.

Lumière pâle sur les collines est le premier roman de l'auteur, il a été récompensé par le "Winifred Holtby Prize of the Royal Society of Literature" l'année de sa parution en 1982 comme l'intégralité de son oeuvre par la suite.

L'ecriture est fluide, élégante, habituel chez l'auteur, avec ce petit je-ne-sais-quoi de retenue qui fait tout le charme de ce récit dont l'approche historique, omniprésente, apporte de l'épaisseur aux personnages de cette histoire à la limite de l'étrange dont les faits se déroulent sur deux périodes et en deux lieux bien distincts : l'Angleterre des années 80 et le Japon de l'après-guerre dans les années 50.

La narratrice du récit, Etsuko, veuve, dont l'âge ne nous est pas dévoilé mais que l'on suppose rendue à l'aube de ses 60 ans, est une expatriée japonaise qui vit dans la campagne anglaise durant les années 80. Sa fille Niki, qui vit à Londres vient lui rendre visite. L'occasion d'un séjour au fil duquel les souvenirs d'Etsuko concernant la disparition tragique de sa fille aînée, Keiko, née d'une première union avec Jiro au Japon, vont remonter peu à peu à la surface et se juxtaposer avec les souvenirs de sa vie passée, alors qu'elle est une toute jeune mariée et attend son premier enfant, à Nagasaki, au pied des collines d'Inasa (auxquelles le titre fait écho). Nagasaki, qui se reconstruit et panse ses plaies mais porte encore les stigmates de la guerre.

Tout au long de son roman l'auteur laisse sciemment planer une aura de mystère ce qui le rend d'autant plus fascinant. Une atmosphère brumeuse comme éthérée, des personnages ambigus mais touchants de vérité. Mariko, petite fille fantasque, en mal d'amour qui invente des histoires pour se protéger des traumatismes qu'elle a subis, qui protège ses chatons comme si sa vie en dépendait ; Sachiko, sa mère, qui fait preuve d'une telle dureté envers elle et semble incapable de l'aimer comme il le faudrait ; le grand-père Ogata, éminent professeur à la retraite, dépassé par ce Japon en renouveau qui s'éloigne de ses valeurs ancestrales, dont le portrait oscille entre malice et humilité et enfin Etsuko, digne, qui tente de vivre malgré la disparition de son enfant.

Kazuo Ishiguro nous livre les évènements petit à petit, de manière suggestive, toujours à demi-mot, nous laissant en permanence dans l'expectative comme si nous touchions quelque chose du bout des doigts sans pouvoir l'atteindre et il le fait avec beaucoup de justesse et de pudeur pour finalement nous amener à la réflexion sur des sujets lourds de sens comme l'acceptation de ce qui doit être après la perte d'un proche et la capacité à vivre après un traumatisme quel qu'il soit car il est évident que chacun des personnages de ce récit porte en lui les traces indélébiles liées à l'horreur que fut ce jour funeste du 9 août 1945 durant lequel les américains larguèrent la deuxième bombe atomique sur Nagasaki, trois jours après celle d'Hiroshima, rasant la ville en dix secondes, la réduisant en un tas de cendres béantes, faisant 74 000 victimes, 210 000 au total avec Hiroshima.

Que dire de plus sinon que je vous invite à lire ce magnifique roman et qu'il est impensable pour moi de ne pas conclure ce billet sur une note poétique avec ces quelques lignes d'un texte extrait du roman de Lajos Zilahy "L'âme qui s'éteint", qui je trouve, s'accordent merveilleusement bien avec l'univers de l'auteur dans lequel les souvenirs et la mémoire ont une place à part.

"Il y a dans la vie des instants inoubliables,
des instants qui s'enfonçent comme de
minuscules aiguilles dans votre chair et dans
vos nerfs, qui pénètrent si profondément
et d'une façon si tranchante dans votre
mémoire, que le temps ne peut jamais
les effacer..."
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