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Critique de Valerie78120


Un immense coup de coeur pour ce "roman", en lice pour le Renaudot.

Le 17 mars 1951, Pauline Dubuisson, jeune femme de 24 ans, tue son ancien ami, Félix Bailly, en tirant sur lui à trois reprises (dans une petite chambre de bonne qu'il occupait rue de la Croix-Nivert à Paris) avant de tenter de mettre fin à ses jours.

Tous deux sont jeunes, beaux, étudiants en médecine, originaires du Nord, mais si Félix est doux, gentil, romantique, confiant, gauche, un brin lisse et naïf, Pauline est une ravageuse que la vie a rudement malmenée.

Elevée comme un garçon, à l'écart des autres et sans affection, par un père protestant pénétré de philosophie nietzschéenne et par une mère frêle, transparente, soumise, qui ne la regarde pas, qui ne regarde du reste personne, qui ne se regarde pas davantage, Pauline apprend à s'endurcir, à encaisser, à taire crânement ses sentiments. La force est un devoir. La faiblesse une faute.

La guerre éclate. André Dubuisson, entrepreneur de travaux publics germanophile, choisit alors d'utiliser sa fille - Pauline a 13 ans en 1940 - pour faciliter ses transactions avec les allemands. Il faut dire qu'elle est ravissante, fière, orgueilleuse, qu'elle fait tourner les têtes des lieutenants, des capitaines, des colonels ... C'est bon pour pour ses affaires. Pauline se retrouve dans le lit de l'occupant ce qui lui vaudra, à la Libération, une réputation sulfureuse.

A 17 ans, Pauline, qui a vécu la guerre à Dunkerque, bombardé en permanence, dans les gravats, avec la mort qui décime nuit et jour, n'est déjà plus une jeune fille respectable. Mais une femme très avertie, une agicheuse, une tondue, un esprit dominateur, indocile, scandaleux, qui ne se soumet pas aux normes.

Devenue étudiante à la Faculté de médecine de Lille, elle attire Félix dans ses filets.

Il tombe fou amoureux et propose maintes fois le mariage à cette insoumise qui le prend de haut, le méprise, se joue beaucoup de lui et de ses sentiments.

Si Pauline accepte de prendre avec lui du plaisir, de l'initier, elle refuse de se laisser enfermer, d'abandonner ses études, de devenir une épouse, seul rôle convenable dévolu aux femmes.

De guerre lasse, Félix, qui n'a cessé d'avaler d'indigestes couleuvres, finira par se détourner et décidera de poursuivre ses études à Paris.

Sitôt Félix disparu, Pauline comprendra qu'elle en était, en réalité, amoureuse (il y a quelque chose de Scarlett dans Pauline) mais ne parviendra jamais à le reconquérir jusqu'à ce 17 mars où elle le tuera par accident (ou pas), par désespoir (ou pas), par dépit amoureux (ou pas).

S'ensuivront une invraisemblable curée judiciaire et médiatique, une enquête sans nuance, très partiale, systématiquement à charge, un procès sexiste, odieux, inéquitable, où l'Avocat général réclamera la tête de l'accusée, des articles orduriers, destinés à attiser la haine de la foule.

Et face à ces hyènes décidées à en découdre, Pauline, toujours fière, toujours incapable d'exprimer ses sentiments, seule, sans réel soutien, sans véritable défense à ses côtés.

Dans son ouvrage, riche, drôle, fourmillant de mille digressions personnelles, Philippe Jaenada entreprend de décrypter - avec fougue et minutie - l'affaire, mettant au jour, page après page, la manipulation grossière des faits de la part des enquêteurs et du Parquet, les mensonges éhontés de la presse et les approximations des experts.

A soixante ans d'intervalle, il se fait l'avocat de Pauline.

Il est là, frais, emporté, idéaliste, tenace, rigoureux, envahi par son sujet, comme un jeune confrère devant son premier dossier.

Et l'on se prend à aimer Pauline. Telle qu'elle fut. Loin de l'image que la société souhaitait donner d'elle en forçant le trait et au mépris grossier la vérité.

La dernière page tournée, je l'ai laissée à regret regagner l'ombre. Heureuse malgré tout que justice lui ait enfin été rendue.
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