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Critique de colimasson


Les textes de ce recueil sont issus de plusieurs discours tenus par Vladimir Jankélévitch lors de colloques regroupant des intellectuels juifs de langue française entre 1957 et 1963. La question qui servait de base et de prétexte aux débats concernait l'existence d'une identité juive.


Evidemment, celle-ci existe, nous disent les principaux concerés, mais, pour échapper au risque d'une réponse trop simple, Jankélévitch précise que cette identité est oscillation entre deux positions antagonistes : désir de se fondre dans la foule indifférenciée comme désir de se distinguer d'autrui ; désir de s'installer enfin en terre promise mais crainte de voir ainsi le confort dévorer l'inquiétude, contre le désir de poursuivre l'éternelle errance en arrachant ses préoccupations des contingences terrestres. Ayant eu envie de lire cet essai dans la perspective de mieux comprendre la tendance à l'origine de l'édification d'une oeuvre comme celle de Freud, par exemple et à tout hasard, Jankélévitch me permet d'en peut-être mieux deviner les origines puisque, finalement, le déchirement qu'il associe au judaïsme serait celui de devoir choisir entre satisfaire le désir ou le décevoir pour continuer de nourrir infiniment le désir lui-même. Désir réduit au niveau humain ou désir de désir éternellement reporté.


Tous les hommes, après tout, sont confrontés à ce dilemme. Les juifs cultiveraient cependant, selon Jankélévitch, ce goût de l'impossible, cet amour de la tragédie, porté à la plus haute conscience. La décision de choisir l'incarnation du désir, comme le fut par exemple Israël, devient ainsi presque plus douloureux que de continuer de penser : ce n'est pas cela. « le problème, presque métaphysique, qui se pose lorsqu'on médite sur l'existence de cet État, et qui est déjà immanent à la position même de ce problème, c'est de savoir comment se comportera la Terre sainte lorsque la Terre sainte deviendra la réalité du présent. Comment l'extrême passé fabuleux, à peine croyable, l'incroyable passé millénaire, et d'autre part l'extrême futur de l'espérance eschatologique, évolueront-ils dans la conscience de l'homme quand ils deviendront un présent tangible et visible ? Quand Israël invisible deviendra un Israël visible ? Est-ce qu'à ce moment-là ne naîtra pas une déception métaphysique [...] ? »


Le juif représenterait le principe de l'intranquillité, le principe anti-bourgeois qui se refuse à la satisfaction éphémère et illusoire, à l'avachissement décevant, aux compromis, ainsi peut-être devenant source d'animosité. de l'antisémitisme, Jankélévitch tient d'ailleurs un discours qui ne s'entend pas à tous les coins de rue puisqu'il déclare que sans les persécutions subies par les juifs au cours de la seconde guerre mondiale, lui comme de nombreux autres juifs n'auraient peut-être pas pris conscience de l'inclination de la pensée propre au judaïsme. Jankélévitch reconnaît en quelque sorte l'utilité maïeutique pour les juifs de l'antisémitisme comme persécution. le véritable antisémitisme, la manière la plus virulente qu'un goy aurait de haïr un juif, serait selon lui de lui demander de choisir définitivement, de cesser son oscillation d'inquiétude, et de cesser aussitôt également de développer toute circonvolution mentale autour de ce balancement.


Si le christianisme est également, originairement, intranquillité, il est certes d'une autre forme : non plus inconfort de la tension entre possible et manifeste, puisque le christianisme est après tout choix du Christ et acceptation d'un destin terrestre clos, mais inconfort de la tension entre bien et mal dans le sens où le bien serait adéquation du désir à l'être. Alors que les colloques qui virent la participation de Jankélévitch et d'autres intellectuels juifs se soutenaient initialement de l'interrogation à propos de l'existence d'une identité juive, Jankélévitch constate, dans son discours de clôture que « de nos entretiens, s'est dégagée une idée dominante, l'idée d'une dilution de la messianité ». le juif serait donc celui qui ne peut pas accepter de céder sur son désir pour l'avènement d'un Messie. « Notre attente vise l'accomplissement plus général d'un processus qui n'a pas de fin, un processus de transfiguration infinie, qui n'atteindra jamais son plérôme mais qui atteindra peut-être une plénitude ».
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