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Critique de LightandSmell


Je remercie Babelio et les éditions Bamboo de m'avoir envoyé Celle qui parle d'Alicia Jaraba en échange de mon avis.

À la réception de cette BD, j'ai été étonnée par sa taille ! Mais il faut bien 220 pages pour narrer de destin exceptionnel d'une figure féminine historique que je ne connaissais pas et qui a pourtant marqué l'histoire du Mexique : Malinalli alias la Malinche.

De fille de chef de clan à esclave…

Bien qu'il y ait encore beaucoup de flou autour de cette femme, Alicia Jaraba a fait le pari ambitieux de combler les failles de l'Histoire en nous proposant un récit mêlant réalité et fiction. Et le résultat est à la hauteur de ce que l'on peut espérer de ce genre de démarche : passionnant et assez intrigant pour donner envie d'effectuer ses propres recherches. J'ai ainsi pris beaucoup de plaisir à découvrir Malinalli, une jeune femme qui jamais n'acceptera sa condition dans une société précolombienne où les femmes n'ont pas le droit à la parole.

Bénéficiant d'un peu plus de liberté que les autres femmes, grâce à son statut de fille de l'ancien chef de son clan, Malinalli sera néanmoins vendue comme esclave, avant d'être offerte, quelques années plus tard, par Hernán Cortès à l'un de ses hommes. D'esclave à objet sexuel, le destin de la jeune femme n'est pas enviable bien, qu'apparemment, commun dans ce Mexique du XVIe siècle. Cette vie de soumission imposée n'entachera néanmoins jamais sa détermination, Malinalli faisant preuve d'un courage et d'une force de caractère impressionnants. Au fil des pages, j'ai été éblouie par sa personnalité hors norme, sa capacité à ne pas se laisser dominer par les hommes qui peuvent posséder son corps, mais pas briser son esprit.

Un talent pour les langues au service des conquistadors…

Fine stratège, observatrice et douée pour les langues, Malinalli va, petit à petit, s'imposer auprès des conquistadors, ces derniers rêvant de s'emparer des richesses et de l'or du Mexique et de soumettre les Mexicas. Un peuple à l'influence tentaculaire qui exige des autres toujours plus de « dons », d'esclaves et de personnes à offrir en sacrifice. Un peuple responsable de la mort du père et de la soeur de Malinalli enlevés puis sacrifiés comme beaucoup d'autres. On peut alors comprendre qu'elle décide de collaborer avec les conquistadors contre les Mexicas, leur violence et leurs exigences démesurées qui vident les clans de leurs habitants et de leurs possessions.

Si la jeune femme devient traîtresse aux yeux de certains, on découvre l'importance de son rôle d'interprète dans la paix. Ainsi, grâce à sa capacité à comprendre et parler plusieurs langues, elle va permettre d'éviter que certaines situations ne dégénèrent, mettant des mots là où les opposants n'entendent que des sons étranges. Malinalli fera également preuve d'un sens redoutable de la diplomatie, choisissant quoi traduire et surtout comment reformuler les propos des uns et des autres. Un talent qui se conjugue à merveille avec son don pour les langues, deux choses qui feront d'elle un atout pour Hernán Cortés.

Une femme d'exception qui fera de son mieux avec les circonstances…

Ce dernier semble d'ailleurs réaliser l'importance stratégique de Malinalli, de « celle qui parle » dans un pays et à une époque où les femmes sont cantonnées au silence et à la soumission. Intelligente et débrouillarde, il y a quelque chose d'avant-gardiste et de visionnaire dans cette jeune femme qui ne fait pas unanimité parmi les siens, mais qui réussira à nouer des amitiés sincères que ce soit avec une Maya ou une Espagnole. Nouvelle preuve de sa capacité à faire le lien entre différents peuples… le contexte historique est difficile, mais au fil des pages, on découvre également quelques instants de bonheur simple, une belle transmission intergénérationnelle et une certaine solidarité féminine.

Tout autant d'éléments qui aideront Malinalli à affronter les épreuves et l'opprobre des siens devant sa collaboration avec l'envahisseur espagnol. Un envahisseur qui va faire montre d'une attitude abjecte, se jouant de l'ignorance des Mexicains des armes à feu, les spoliant de leurs richesses, les manipulant sans vergogne, et obligeant les peuples avec lesquels il s'allie contre les Mexicas à renoncer à leurs propres cultes et dieux. Des actes immondes qui vont pousser Malinalli à imposer, autant que faire se peut, ses propres règles et à tenter de limiter les changements imposés par les conquistadors. Difficile donc de simplement et purement condamner une jeune femme qui fera de son mieux pour limiter le règne de la terreur des Mexicas avec les moyens dont elle dispose, sa connaissance des langues, et les alliés que les circonstances lui imposent, les Espagnols.

Une ambiance graphique immersive, colorée et expressive…

Malinalli, devenue la Malinche, est une figure féminine extraordinaire que j'ai adoré découvrir à travers cette BD, même si c'est de manière romancée. Mais au-delà de sa personnalité qui suscite l'admiration ou la désapprobation selon son point de vue, l'autrice nous offre une immersion convaincante dans la société précolombienne et un Mexique pluriel et varié dans lequel cohabitent plus ou moins pacifiquement différents peuples. le voyage fut d'autant plus agréable que les éditions Bamboo nous offrent ici une édition de qualité avec un ouvrage robuste et épais, mais agréable à prendre en main. En plus de la qualité du papier et d'une mise en page claire, les marges se révèlent suffisantes pour permettre aux lecteurs de lire la BD sans avoir peur de l'abîmer.

Dans une histoire où la parole est essentielle et le dialogue une nécessité, j'ai trouvé, en outre, particulièrement intelligent d'introduire chaque partie par des mots de vocabulaire empruntés aux différentes langues autochtones et à l'espagnol. Mais je reconnais avoir surtout apprécié que chaque partie soit introduite par une carte avec un repère visuel permettant de situer le lieu de l'action… Quant aux illustrations, j'ai été saisie par leur puissance dans la mesure où l'autrice arrive à retranscrire les émotions des personnages, du sentiment de révolte pur à la tendresse en passant par la colère et l'espoir. La gestion des couleurs se révèle également intéressante et dénuée de toute monotonie, précaution indispensable pour une BD de cette taille ! Teintes violacées ou bleutées, verts de différentes nuances… En fonction des événements, des lieux et des saisons, la palette de couleurs évolue, nous offrant différentes ambiances graphiques toutes très immersives.

En conclusion, mêlant fiction et réalité, Alicia Jaraba nous propose avec Celle qui parle une BD ambitieuse autant sur le fond que la forme. D'un trait assuré qui s'adapte à toutes les situations, elle nous plonge avec force dans la vie d'une figure féminine contestée de l'histoire mexicaine, mais une figure historique fascinante qui a su s'imposer dans un monde difficile où les femmes étaient réduites au plus primaire des silences. Traîtresse pour les uns ou héroïne qui a oeuvré à sa manière à la paix pour les autres, peu importe finalement, la seule chose à retenir étant la force de caractère d'une femme d'exception qui a su faire le pont et le lien entre différents peuples. Une femme qui avec courage et détermination a inscrit son nom dans l'Histoire !
Lien : https://lightandsmell.wordpr..
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