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Critique de Malaura


On connait l'attrait de Régis Jauffret pour les histoires glauques et sordides, et depuis « Sévère » ou « Claustria », vient s'ajouter la virtuosité à se servir de matières premières issues de la réalité pour bâtir un univers fictionnel sombre et éprouvant, exhalant les relents fétides d'une humanité écoeurante, méprisable.
Qui mieux que lui alors aurait pu s'emparer de l'affaire DSK-Nafissatou, l'histoire peu ragoutante du président d'une haute institution financière accusé du viol d'une femme de chambre africaine dans un Sofitel de New-York en Mai 2011 ?

Relayée par les médias pendant de nombreuses semaines, ruinant les ambitions politiques d'un homme en lice pour la présidence de la France, cette sombre affaire de moeurs avait tous les attributs pour alimenter l'esprit tortueux du romancier et, après le magistral « Claustria », l'on espérait un roman sinon aussi puissant, du moins percutant et incisif.
La mayonnaise n'a pris hélas qu'à moitié ! « La ballade de Rikers Island » n'est pas une nouvelle « Ballade de la geôle de Reading » ! Trop d'accords plaqués sur une partition mince, beaucoup de remplissage alourdissant le tempo, la complainte éplorée des divers protagonistes de cette pièce en tierce mineure n'a pas suscité l'expression harmonique escomptée, quand bien même on tient l'auteur pour l'un des grands écrivains de ces trente dernières années.

On retrouve néanmoins dans cet opus, toute la puissance d'écriture de Régis Jauffret, ce style impérieux, cinglant, combiné à un art de la métaphore proprement exceptionnel. Des images aussi géniales qu'originales qui fusent comme des fulgurances, qui jaillissent avec la même énergie violente que la semence de l'homme incarcéré… Mais c'est cela aussi qui finit par excéder, cette volonté systématique de chercher la représentation et la métaphore à tous prix. Si l'on est admiratif de la facilité avec laquelle l'auteur puise les comparatifs et les allégories, arrive un moment où l'on en est saturé, où l'on a besoin de simplicité et de davantage de spontanéité.
Le trop-plein d'effets de style tend même à dénaturer les personnages en leur ôtant leur part de réalité, en les assignant à un rôle purement fictionnel qui finit par nous les rendre étrangers, éloignés du commun des mortels. Ainsi, la réaction viscérale que l'on a pu ressentir lors de la divulgation de l'affaire se noie dans la surenchère et dans une écriture trop travaillée pour qu'elle parle au coeur. Et si les personnages nous inspirent une compassion certaine, ils ne sortent pas de leur gangue parodique. Dessinés à la mine de plomb, ils ont les traits épais de la caricature, offrant une représentation outrée de leurs pensées et de leurs sentiments.

Si le personnage masculin se révèle pitoyable, grotesque et infantile, parangon d'égocentrisme et d'individualisme narcissique, les femmes, elles, sont les grandes figures d'un ouvrage leur rendant avec émotion dignité et intégrité. Malgré tout c'est bien trois victimes qui se débattent tout le long de ces pages où la noirceur s'inscrit davantage dans un rapport de fatalité que dans une réelle volonté de violence.
L'homme : victime d'une libido excessive, exacerbée par la prise intempestive de petites pastilles bleues qui font de son sexe un perpétuel quémandeur de rapports physiques…
Son épouse à la fois forte et fragile: victime d'un amour tragique auquel elle a tout sacrifié et tout donné (carrière, ambition, statut, richesse) et duquel elle ressort meurtrie, l'amour-propre aussi cruellement mutilé que le sexe excisé de la femme peul par qui le scandale éclate.
La femme de chambre enfin : victime d'être née femme dans un coin du monde où ce sexe n'est pas considéré, tout son être imprégné de la peur et de la honte des esclaves et du gibier. Marquée dès la naissance par le fer qui la désigne proie face aux matrones qui excisent son sexe entre deux pierres coupantes ; face aux soldats africains qui brutalisent et outragent son corps sans défense ; face au regard libidineux d'un blanc pansu à la verge tendue ; face à la police, face au regard des autres…Victime de cette peur du pauvre qui lui fait répéter comme un disque rayé « est-ce que je vais perdre mon travail ? »
C'est dur à dire mais on ne peut s'empêcher de penser que cette fellation non-consentie est peut-être la meilleure chose qui lui soit arrivée. L'acte immonde qui a brisé ses chaînes d'esclave et par lequel elle va désormais pouvoir vivre, avec l'argent du préjudice, une vie de femme libre.

Ces trois victimes racontent une histoire qui ne se construit hélas que sur la thèse du viol. Complot politique, chantage, prostitution, terrorisme….nulle autre piste n'est suivie ni même envisagée. le fait divers ne sert qu'à disséquer la psychologie des personnages pour mettre à jour leurs émotions et imaginer l'impact d'une telle affaire sur leur mental. le voyage en Afrique dans le village de Nafissatou de même que le séjour à New-York au Sofitel, ne servent nullement une quelconque enquête mais une démarche littéraire, celle de se lover dans le décor, d'éprouver les ambiances et les atmosphères afin que le romancier mène à bien son travail d'écriture. En résulte une vision pathétique et lugubre de la réalité, faite de médiocrité, de bassesse, de vils instincts ; la peinture d'un monde où règne toujours la domination du bourreau sur la victime, du gibier sur la proie, du riche sur le pauvre, du maître sur l'esclave et du blanc sur le noir dans un esprit colonialiste encore bien persistant.
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