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Critique de YvesParis


Historien spécialisé dans l'histoire culturelle, ancien président de la Bibliothèque nationale de France, ancien secrétaire d'État de François Mitterrand au début des années 90, héritier d'une lignée d'hommes politiques qui marquèrent l'histoire de France (son grand-père présida le Sénat dans les années 30, son père fut ministre sous De Gaulle), chroniqueur sur France-Culture (où il anime chaque samedi l'émission « La concordance des temps ») Jean-Noël Jeanneney est un touche-à-tout de génie. En 1989, il présida la mission du Bicentenaire de la Révolution française. Cette qualité l'autorise à adresser à Joseph Zimet, l'organisateur des cérémonies de commémoration de la Première Guerre, ses conseils et ses mises en garde.
Commémoration et non célébration. Il serait déplacé de célébrer une hécatombe. 1.3 millions de soldats sont tombés au champ d'honneur. Soit à la louche près de 900 morts chaque jour. A comparer avec les 89 militaires français tués en Afghanistan depuis dix ans dont la perte suscite l'émoi – légitime – des Français et de leurs plus hautes autorités. Ces chiffres donnent le vertige. La commémoration devra d'abord expliquer cette « folie » et rappeler comment l'enchainement fatidique des faits aurait pu être arrêté.
Tout homme de gauche qu'il est, Jean-Noël Jeanneney entend que cette commémoration honore la patrie. le distinguant du nationalisme, il instruit le procès en réhabilitation du patriotisme, ferment de l'Union sacrée qui, contre toute attente, avait soudé la France face à l'adversité. Il combat le projet de commémoration « pacifiste » (p. 78) que certains à gauche auraient pu caresser, se laissant porter par la vague victimaire qui aurait fait des fusillés et des mutins les vrais héros de la Grande guerre. Pas plus qu'ils n'étaient bellicistes – la thèse fondatrice de Jean-Jacques Becker a fait un sort à l'idée fausse selon laquelle les Français seraient entrés en guerre la fleur au fusil – les Français n'étaient pacifistes. On se tromperait en faisant des soldats français et allemands qui ont sympathisé en décembre 1914 dans les tranchées les précurseurs d'une amitié franco-allemande qui germa dans l'entre-deux-guerres avant d'éclore dans les années 50.
Autant que la patrie, c'est la République qu'il faut commémorer. Une Troisième République « insubmersible » (p. 46) dont on oublie souvent qu'elle a survécu aux circonstances exceptionnelles des temps de guerre, voire, mieux encore, qu'elle a permis aux civils de l'arrière de tenir, condition nécessaire à la victoire des militaires au front. Jean-Noël Jeanneney ne veut pas que la commémoration de la Grande Guerre soit l'otage des guerres de chapelle ou des oppositions simplistes, en un mot qu'elle désunisse la France comme celle de la Révolution française avait bien failli le faire. Pas d'opposition stérile entre pacifistes et bellicistes, pro-Jaurès et pro-Clémenceau, militaires et civils, alors que si on y regarde de plus près, ces oppositions étaient moins tranchées qu'on ne les présente rétrospectivement.

On sent poindre un formidable engouement populaire autour de cette commémoration. En témoignent déjà les innombrables publications qui l'annoncent et les foisonnantes initiatives locales qui se multiplient. Comme en 1989, l'État doit fixer le cap. Ce n'est pas à lui de dire l'histoire – même si la commémoration du martyr arménien en 2015 risque de susciter encore une nouvelle loi mémorielle. Mais c'est à lui d'accompagner la formidable effloraison de curiosité que cet événement suscite en expliquant la folie, en honorant la patrie, en unifiant la France et en promouvant l'Europe. Vaste programme pour Joseph Zimet et son équipe !
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