C’était bon de n’avoir d’autre souci que d’assortir sa robe et ses accessoires, de se regarder dans la glace et de s’y voir bien habillée, mise en valeur et, finalement, plutôt séduisante. Elles riaient comme des ados et laissaient les sols jonchés d’affaires essayées puis rejetées. Cela leur rappelait leur enfance, le temps où elles se déguisaient des heures entières, fabriquant des masques, tressant des rubans, taillant dans des vieux tissus. Le résultat fut beaucoup plus réussi qu’à l’époque, June ayant su conseiller Alona pour choisir des vêtements dont les coupes, tissus et modèles la mettaient vraiment en valeur.
D’une beauté naturelle, elle avait seulement besoin de belles harmonies de couleur pour rehausser son teint hâlé, de formes simples mais élégantes pour souligner ses courbes et d’une longueur de robes adéquate pour attirer l’œil sur le galbe parfait de ses jambes.
Cette jolie jeune femme était bien différente. Elle lui avait fait penser à une Indienne avec ses formes menues, la raideur soyeuse de ses longs cheveux noirs et ses pommettes hautes. Après cette première impression, une seconde y avait ajouté sa note d’étrangeté, diffusée par ses yeux étonnants. Grands, un fin halo foncé faisant ressortir la clarté de leur couleur vert amande, et d’une forme s’étirant exquisément vers les tempes, ils étaient tout simplement fascinants. Il se reprit pourtant au beau milieu de sa rêverie. Il n’avait pas l’intention de se laisser attendrir par qui que ce soit, encore moins par une représentante de la gent féminine.
Naguère d’un irrésistible humour pince-sans-rire, ses propos pouvaient dorénavant se teinter d’une morgue qui révélait un chagrin profond. Il s’était d’ailleurs jeté dans le travail afin de ne plus ressasser un passé douloureux.
On ne reste pas sans répondre à quelqu’un qui vous dit gentiment bonjour.
— Tu sais, les animaux ont un fonctionnement très simple. Il suffit de bien les observer pour les comprendre.
Les enseignants y sont plus à l’écoute des cas particuliers et traitent les enfants comme des personnes à part entière. J’ai l’impression qu’il a été remis sur les rails sur le plan scolaire, mais il est toujours aussi seul et a gardé son air réfléchi. On dirait un adulte.
La solitude permet une vie tranquille et des retrouvailles heureuses.
On voit la mer partout, dans des criques, des lacs, des réservoirs. Elle serpente dans les terres, puis ressort plus loin, ou tout près. Que l’on se trouve sur l’eau ou sur la terre ferme, on ne peut jamais deviner le paysage qui nous attend au détour d’un virage.
Tous ces faits étranges auxquels elle n’avait pas prêté attention devenaient les pièces d’un puzzle qu’elle reconstituait aujourd’hui. Avec ce flot de souvenirs se forma en elle une de ces vagues qu’elle connaissait trop bien depuis quelque temps. C’était une émotion déferlante qui prenait source au milieu de sa poitrine et allait bientôt monter vers son visage en y faisant jaillir des larmes qu’elle ne saurait plus arrêter. Elle savait que, pour contenir le séisme qui se préparait, elle devait se concentrer sur sa respiration et pratiquer de profondes inspirations, jusqu’à ce que son ventre, sa gorge et toute sa tête se décrispent un peu.
Dans cette région rurale, le bouche-à-oreille avait vite fonctionné et on venait la consulter, même de loin, pour tous types de conseils.