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Critique de BillDOE


« Lust » est une ode à la famille bourgeoise.
C'est un conte sadique où l'homme, la femme et l'enfant évoluent, régis par les règles du monde hystérique et confiné d'Elfriede Jelinek. Ce n'est pas une histoire, c'est une étude anthropologique de la nature humaine à travers notamment les rapports de force entre les belligérants, la relation dominant-soumise du couple. Leurs prénoms ne sont pratiquement jamais cités car ils pourraient être n'importe qui. Il n'y a qu'aux épisodes de leur vie qui prennent une consistance personnelle que l'auteur les appelle par leur prénom.
L'homme est un phallocrate de base, patron d'industrie à la tête d'une papeterie, il règne sur son couple comme sur son entreprise en maître priapique despotique. C'est un farouche combattant de la routine sexuelle dont la femme est son sujet d'expériences érotico-pornographique privilégié. Son cri de guerre aurait pu être : « Au nom de la bouche, du cul et du vagin, je t'empale sainte Salope ! ».
La femme est effacée, soumise aux besoins charnels de l'homme, elle est son jouet sexuel. Elle n'a une amorce d'existence que lorsqu'elle prend un étudiant comme amant. Elle semble s'être détachée d'elle-même et avoir rendu les armes. Elle est décorporée, spectatrice de sa partie morte baisée par tous les orifices. Elfriede Jelinek ne semble avoir aucune compassion ni aucune pitié pour son personnage féminin. Peut-être parce qu'elle considère qu'en se mariant, la femme s'est compromise, elle a vendu son âme au diable, c'est une damnée condamnée à l'enfer de l'enfermement du schéma familiale, esclave d'un ordre social antédiluvien où l'homme attrapait la femme par les cheveux pour s'épancher dans son récipient vaginal. Sa vie est un viol perpétuel. Mais dans « Lust » elle connaîtra la rédemption et une forme de canonisation jelinekienne en commettant l'innommable pour une mère.
L'enfant apparait succinctement. Il n'est pas au coeur du propos de l'auteur car pour Elfriede Jelinek il est un non-sens de la nature. Elle écrit : « Mais en réalité le fils ne dérange pas seulement lorsqu'il est au goutte à goutte du violon. Il dérange toujours. Ce genre de superflu (les enfants) n'est que le produit de relations irréfléchies qui installent leurs propres trouble-fête à domicile, afin que de leur babil malhabile ils illuminent votre demeure, brillants et sots comme la lune. » Il est la maquette de l'homme, nain gorgé de merde, de pisse et de morve. Il a la graine du vice en lui. Son oeil observe les ébats de ses parents par le trou de la serrure pendant que sa main le soulage. On a bien compris qu'il est un brouillon dans le schéma de Jelinek, l'étape regrettable entre la copulation (on ne parlera pas d'orgasme car l'auteur n'y fait pas allusion) et le résultat final : l'homme. On n'ose imaginer ce qu'aurait écrit Elfriede Jelinek si le couple avait eu une fille…
L'écriture est déstabilisante. C'est un salmigondis de mots, d'expressions qui peuvent perdre le lecteur. Les phrases semblent parfois avoir été posées à la mauvaise place du récit ou n'avoir rien à voir avec le sens du propos. On pourrait songer à de l'écriture automatique ou de la poésie lunaire. Pourtant tous est soigneusement étudiée dans la prose d'Elfriede Jelinek, il suffit de prendre du recul comme pour la toile d'un impressionniste, de reculer de quelques pas et les touches désordonnées de couleurs disparates finissent par former un dessin qui prend tout son sens.
Le style fait penser aux « gueules cassées » de Picasso, ces portraits démantibulés. Une narration discontinue, des traits brisés, mais une lecture voluptueuse, des impressions plus que des affirmations. Il ne faut jamais s'attarder aux mots, au risque de tomber dans le piège de l'incompréhension, il faut survoler l'oeuvre pour gouter à ses émanations.
Le titre, « Lust », qui signifie, plaisir, désir, volupté, luxure, comme l'indique la traductrice Yasmin Hoffmann, évoque toutes les saveurs de l'amour, grand absent de ce roman, ou plutôt de cet essai. C'est là tout le paradoxe de cette oeuvre. L'auteur écorche à vif l'amour pour n'en laisser que le squelette, le mécanisme de la copulation, la gymnastique des sexes, la froideur de l'absence de sentiments.
Ce n'est certes pas le plus accessible des ouvrages d'Elfriede Jelinek, mais il est exaltant.
Traduction de Yasmin Hoffmann et de Maryvonne Litaize.
Editions Jaqueline Chambon, Points, 282 pages.
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