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Critique de Vanros


Vanros
06 septembre 2015
En Autriche (appelée Hitlerland par l'auteure), Gerti, la femme, épouse à la quarantaine "déclinante", subit les assauts de Hermann, son mari dont la libido est particulièrement développée et exigeante. Ses besoins sont d'autant plus impératifs qu'il occupe le poste enviable de directeur de la papeterie locale ; il a le pouvoir sur les corps, les esprits, les portefeuilles et en use. Au sein d'une belle maison bourgeoise, Gerti cohabite avec le fils, petit monstre. A la suite d'un assaut particulièrement violent, la femme décide de prendre un amant. Elle rencontre un étudiant, dont elle tombe amoureuse, de la seule manière qu'elle connaît ; se laisser posséder comme un bout de chair. Elle revoit l'étudiant qui s'avérera décevant. de retour au nid conjugal, et toujours sous la menace des envies du mari, elle décide de provoquer la rupture de ce cercle infernal, en supprimant l'enfant.

Elfriede JELINEK règle ses comptes :
D'abord avec le patriarcat, qui cantonne la femme à un être inférieur, à la merci de l'homme. La femme du roman voit son univers mental réduit au " KKK" ; comme il fut un temps coutume dans le monde germanique, la femme devait se soumettre à l'Eglise (Kirche), à la cuisine (Kueche), aux enfants (Kinder). La situation des femmes en est rendue d'autant plus difficile que la culture dominante s'est emparée de la revendication des années soixante ; le "jouir sans entrave", est dénoncé par l'auteure, quand il permet aux "dominants" d'écraser un peu plus les "dominés".

Elfriede JELINEK dénonce ici le matérialisme et les valeurs de compétition soutenant la société autrichienne, et par la famille (cellule de base de cette société) à ses yeux (ceux d'une ancienne militante communiste), cette société, est composée de riches et de pauvres, qui vivent terrorisés à l'idée de perdre leur confort acheté à crédit.

La lecture de ce roman peut apparaître difficile, car l'auteure ambitionne de rompre avec les procédés narratifs classiques , et le lecteur doit abandonner ses repères ; à la manière du public de 1910 devant les demoiselles d'Avignon du peintre Picasso, il faut accepter ne pas retrouver le déroulé classique d'une histoire, les descriptions des paysages, des sentiments. Comme face aux oeuvres cubistes, le lecteur peut ne pas apprécier, mais reconnaître la qualité, la quantité et la sincérité de la démarche littéraire.
En 2004, l'académie du prix Nobel de littérature, justifiant son choix en faveur de Elfriede JELINEK, a souligné "le flot de voix et de contre-voix dans ses romans et ses drames qui dévoilent avec une exceptionnelle passion langagière l'absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux."
Ici, s'entremêlent plusieurs registres d'écrit ; dans un même paragraphe, le lecteur naviguera de la considération économique, sociale, du catéchisme catholique, en passant par le slogan pop, politique, les argots pornographiques (les "choses" ne sont jamais appelés par leur propres noms, et les scènes pornographiques empruntent aux langues sportive, agricole, mécanique, économique ....) Un peu à la manière d'une composition dadaïste, d'un collage. le texte peut apparaître confu, baroque à la manière d'une pâtisserie viennoise, mais les télescopages apparaissent souvent heureux, témoignant d'un vrai talent créatif.
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