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Critique de AMR_La_Pirate


Je n'avais jamais entendu parler de l'écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek, lauréate du Prix Nobel de littérature en 2004.
C'est tout à fait par hasard que j'ai découvert cette pièce de théâtre, Ombre (Eurydice parle), grâce à un podcast France Culture

Drôle de titre pour revisiter le mythe d'Orphée en donnant la parole à Eurydice depuis le royaume des ombres… L'ombre est au singulier puisqu'il s'agit de celle de la défunte… Et, en lieu et place d'un éventuel sous-titre, il y a plutôt une parenthèse explicative pour officialiser la parole de celle qui va s'exprimer dans un monologue.
En règle générale, les parenthèses entourent une partie accessoire du propos, qui peut être supprimée si besoin. L'auteure veut sans doute insister sur l'ultime prise de parole d'Eurydice et casser les codes de la représentation de la plus célèbre histoire d'amour de la mythologie grecque, entre Orphée, poète et musicien, dont la lyre a donné le mot « lyrisme », et la belle dryade Eurydice dont, finalement, on ne sait pas grand-chose. Pour mémoire, je rappelle qu'Eurydice a été mordue par une vipère le jour de ses noces avec Orphée ; émus par la complainte du poète, les dieux l'ont autorisé à aller chercher sa bien-aimée aux enfers et à la ramener dans le monde des vivants, à la seule condition de ne pas la regarder avant d'être complètement sortis du royaume des ombres. Malheureusement, Orphée, impatient, se retourne trop tôt vers sa bien-aimée et la perd à jamais…

Elfriede Jelinek a transposé cette histoire dans notre époque contemporaine ; Orphée est une rock star très médiatisée, poursuivi par des groupies déchainées, tandis qu'Eurydice a du mal à trouver sa légitimité comme poétesse.
Du fond du royaume des ombres, Eurydice s'exprime enfin dans une prise de parole libératrice, une confession que l'on peut imaginer presque autobiographique car l'auteure elle-même s'est souvent trouvée en porte à faux dans ses prises de positions et ses refus des formes d'autorité imposées aux femmes.
Tantôt grave, tantôt futile, parfois émouvante, parfois ridicule, passant de postures touchantes à des attitudes outrancières, Eurydice exhale un monologue murmuré, hurlé, craché, proféré… C'est un flux, un cri, une respiration dans lequel la femme se raconte et se met à nu, s'écrit, se dit et s'incarne.

J'aime quand les mythes sont revisités de manière originale…
Quand elle a été mordue par l'aspic, Eurydice fuyait Aristée, un dieu pastoral et agriculteur qui la poursuivait de ses assiduités. Chez Elfriede Jelinek, Eurydice fuit la vie et ne souhaite pas qu'Orphée vienne la chercher : « je ne suis plus rien. Je suis ». Émancipée, libérée, elle envisage sa vie d'ombre comme une échappatoire à l'aliénation terrestre. de son vivant, elle était dans l'ombre de son mari et de sa célébrité clinquante, victime de stéréotypes ; elle somatisait son manque de confiance en elle, ses angoisses et ses rancoeurs par des achats compulsifs, se cachait sous des apparences de fashion-victim, cédait à des standards vestimentaires sous lesquels elle ne s'appartenait plus, désincarnée…
Cette Eurydice moderne s'approprie son destin, choisit de rester ombre singulière parmi les ombres.

Une très belle découverte !
L'univers d'Elfriede Jelinek m'intéresse et m'attire.

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