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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Batman: Terre un (2012) qu'il vaut mieux avoir lu avant pour le début de la relation entre Bruce Wayne et Alfred Pennyworth. Il s'agit d'une histoire parue en 2015, d'un seul tenant, sans prépublication, dans un format destinée aux librairies américaines. Il a été réalisé par la même équipe que le premier tome : Geoff Johns (scénariste), Gary Frank (dessinateur) et John Sibal (encreur). La mise en couleurs a été réalisée par Brad Anderson.

5 personnes prennent l'ascenseur pour se rendre au vingt-septième étage. L'ascenseur ne s'y arrête pas et poursuit sa course jusqu'au penthouse du dernier étage. Les portes restent closes et une voix pose une devinette aux individus prisonniers de la cabine, à laquelle ils doivent répondre sous peine de mourir.

Ailleurs dans la ville, Batman poursuit 2 malfrats, avec un succès très relatif, malgré les conseils d'Alfred dispensés dans son oreillette. Lucius Fox explique à un groupe de chercheurs que Bruce Wayne a encore changé d'avis quant au projet sur lequel il souhaite qu'ils travaillent. Harvey Dent passe son temps au prétoire à défendre des criminels et obtenir leur libération. Harvey Bullock noie dans l'alcool ce qu'il perçoit comme son incompétence professionnelle.

Tout doucement, DC Comics étoffe sa gamme Terre Un, d'abord avec Superman: Terre Un Vol. 2 (2012), puis Superman: Terre Un Vol. 3 (2015). Entre-temps est paru un tome consacré à une équipe plus jeune : Teen Titans: Terre Un Vol. 1. Au printemps 2016, sort un volume consacré à une superhéroïne : Wonder Woman Terre Un. En 2016, ceux qui ont apprécié le premier tome ont le plaisir de voir arriver un deuxième consacré à Batman, réalisé par la même équipe que le premier.

Le principe d'Earth One est le même que celui d'un "What if ?", ou d'un "Elseworld", c'est-à-dire une variation sur le personnage concerné. le lecteur approche donc cette lecture en sachant que son personnage préféré présentera des différences avec la continuité, et même avec le canon établi depuis sa création en 1939. Tout l'enjeu pour le scénariste est de justifier ces variations par la qualité de sa recréation.

La première séquence indique que le criminel principal sera le Riddler (en VF le Sphinx, pas forcément Edward Nigma), pas forcément très accrocheur, avec ses énigmes très artificielles. La deuxième séquence rappelle le début du premier tome de la même série, montrant que Batman est encore débutant et qu'il commet des bourdes. Puis arrive Harvey Dent (pas forcément le futur Two Face, puisque Geoff Johns s'autorise à apporter des changements réels).

Ce qui frappe dans ces premières pages, c'est la cohérence narrative, tant scénaristique que visuelle. Gary Frank conserve sa façon de dessiner habituelle, avec des traits très fins, et une approche réaliste. Il a réduit au minimum le nombre de cases sans arrière-plan, ce qui permet au lecteur de se projeter dans chaque environnement, sans sensation de décrochage. Les décors sont substantiels et détaillés, avec juste ce qu'il faut de personnalité pour ne pas être passe-partout. Gary Frank n'est pas un chef décorateur exceptionnel, mais il conçoit et représente des lieux crédibles et spécifiques. le bar où Bullock est en train de s'arsouiller bénéficie de murs en briques apparentes, et d'un plancher en bois, avec des chaises à la forme reconnaissable.

De la même manière, Gary Frank s'investit assez dans les costumes pour qu'ils soient adaptés à chaque séquence et à chaque personnage, sans aller jusqu'à concevoir des robes de soirée. Par exemple lors du passage dans l'exposition René Magritte, ces dames ont de belles tenues, sans qu'il ne s'agisse de haute couture. Néanmoins, les tenues vestimentaires présentent des détails ténus qui leur confèrent une grande présence sur la page, grâce aux boutons des chemises, ou aux coutures sur les pantalons.

Grâce aux dessins, le lecteur évolue dans des environnements concrets, peuplés de personnages réalistes, avec un jeu d'acteurs, assez naturel pour un comics de superhéros, presque mesuré. La narration de Geoff Johns se situe dans la même tonalité, avec un soin particulier apporté aux personnages normaux. Ils se comportent comme des adultes, sans donner l'impression d'être dans une mauvaise comédie de situation, avec un comportement qui donne une image claire de leurs motivations. Pour reprendre le même exemple de la séquence dans le bar où Gordon admoneste Bullock, il s'agit d'une discussion entre personnes ayant conscience de la difficulté de leur tâche, des risques d'échec, fatigués par la lassitude et l'usure du quotidien, mais toujours motivés.

Du point de vue de l'intrigue, Geoff Johns réussit à éviter les écueils propres au personnage du Riddler. Il adopte une forme de thriller (comment réussir à arrêter cet individu avant qu'il ne commette un autre crime ?), en y ajoutant une enquête policière (à qui profite le crime ?), sans oublier les personnages. le scénariste apporte quelques touches supplémentaires à la relation entre Bruce Wayne et Alfred Pennyworth. Il introduit plusieurs nouveaux personnages (certains avec des noms bien connus, mais différents de leurs homologues de l'univers partagé DC), en ayant soin de les étoffer, même s'il ne s'agit que de seconds rôles. Il apparaît rapidement que Johns conçoit sa narration comme une histoire pouvant être lue pour elle-même (avec une résolution satisfaisante à la fin), tout en développant des éléments sur le long terme, en vue d'une suite (c'est le cas pour au moins 2 personnages bien connus).

Rapidement le lecteur se rend également compte que ce récit s'inscrit dans une veine faussement naturaliste. Certes, Geoff Johns et Gary Frank donnent une apparence la plus proche de la réalité possible aux relations, et aux personnages. Toutefois dès la deuxième scène, ce parti pris trouve ses limites. Lorsque le lecteur voit Batman dessiné de manière réaliste avec sa cape, l'effet est risible car il met en évidence que jamais un vigilant ne s'encombrerait d'une cape. L'accident d'ascenseur est également révélateur d'une approche simplifiée de la technologie, ignorant le frein-parachute (système de sécurité qui évite que la cabine en cas de rupture des câbles).

Johns utilise également les poncifs des comics de superhéros, à commencer par la fortune inépuisable des Wayne, les employés de Wayne Industries qui développent les produits utilisés par Batman sans faire la connexion avec les outils du superhéros, les galeries d'égouts aux innombrables embranchements désaffectés, etc.

Ainsi le lecteur ne plonge pas dans un récit naturaliste proposant une forme plus réaliste de Batman, il découvre une relecture d'une grande cohérence narrative, revêtue d'une apparence plus mesurée (toute proportion gardée) que celle des aventures mensuelles de Batman, avec des personnages plus adultes, et des capacités physiques moins exagérées. Geoff Johns sait installer un réel suspense dans un récit qui fait la part belle au second rôle, aboutissant à une histoire étoffée, où les personnages ont la place d'exister. Gary Frank réalise des dessins minutieux, sans chercher la précision photographiques, avec une forme de restreinte qui tire la narration visuelle vers un environnement plus réaliste, moins enfantin.

Ce récit est donc destiné à un lectorat appréciant les histoires bien construites, appréciant le personnage de Batman, accordant sa suspension consentie d'incrédulité pour accepter les conventions propres aux récits de superhéros, et capable de supporter que Geoff Johns prenne des libertés avec les éléments canoniques du personnage. Sous ses réserves, ce deuxième tome de Batman Earth One offre une lecture divertissante, bien construite, avec des personnages attachants.
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