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Critique de LightandSmell


Une fois ma lecture d'Apprendre à se noyer terminée, je me suis demandé comment j'allais pouvoir vous en parler. Difficile, en effet, de mettre des mots sur cette expérience littéraire étonnante, mélange de cauchemar et d'onirisme, de macabre et de poésie, de brutalité et d'amour. En moins de 150 pages, Jeremy Robert Johnson arrive à proposer une histoire impersonnelle et universelle à la fois. Impersonnelle parce que le cadre géographique est vague, les prénoms occultés et le décor prégnant mais limité. Universelle par ses thématiques : perte, abandon de soi, deuil, culpabilité, vengeance, amour parental et inconditionnel…

Un amour parental qui, une fois soumis à la pire épreuve qu'il puisse exister, conduit notre protagoniste sur un chemin tortueux, empreint de mort, de regrets et de désespoir. Alternant entre pulsions de vie et de mort, l'homme, qui ne sera jamais nommé autrement, tente à sa manière de faire face à l'imaginable… La journée s'annonçait rayonnante sous fond de complicité père/fils, elle finira dans le sang et la douleur. le fleuve est généreux, mais le fleuve recèle de dangers, comme ce monstre, du moins devenu tel dans l'esprit de l'homme, qui en un coup de mâchoire scelle à tout jamais le destin d'une famille.

Alors que l'enfant a sombré, emporté dans la gueule aux dents acérées, l'esprit de l'homme semble s'égarer vers des contrées inatteignables où il est question de défier la mort, de rives étranges, et d'une sorcière à l'obscure et macabre magie. le prix de la vengeance est élevé, mais l'homme est prêt à le payer et à trouver, dans ce monstre qu'il tente de défier, la seule manière d'apaiser une âme damnée par le regret, la culpabilité, la douleur et la perte. La perte d'un enfant devenu la lumière de son couple et celle future d'une femme qui ne peut guère vivre sans cette lumière.

Entre réalité et fantasme, le voyage de l'homme se révèle émotionnellement difficile, d'autant que se mêlent à la douleur des scènes horrifiques, où les images s'imprègnent de symbolisme et de mort. Cette mort qu'il réfute dans une lancinante agonie, mais qui n'en demeure pas moins réelle. Une mort, implacable de froideur, qui s'impose à lui et à nous dans un vacarme assourdissant et silencieux à la fois. Une étrange sensation s'empare alors des lecteurs qui luttent pour ne pas se noyer, quand l'homme lutte contre des courants, parfois contraires, pour apprendre à se noyer, et retrouver dans le ventre du monstre la partie de lui-même qui lui a été brutalement arrachée.

Conte initiatique, fable tortueuse, mais surtout désespoir d'un père face à une perte qui lui a fait perdre le sens commun de la réalité, tout en affûtant ses autres sens. le sentiment d'être à soi, la vue, l'ouïe, le toucher, tout semble exacerbé pour se (re)connecter à une nature écrasante et à des événements et des images qui symbolisent délicatement les différentes étapes d'une difficile acceptation…

Jouant sur la conscience aiguë, primale et viscérale de la perte d'un enfant, l'auteur nous propose ici une échappée macabre et lyrique à la fois dans les limbes de l'obsession d'un père pour réparer ce qui ne peut l'être. Horrifique, brutale et implacable, cette fable se pare néanmoins d'accents de vérité, montrant la beauté là où jamais on n'aurait pu l'imaginer. Une plume tout en poésie pour décrire l'horreur et une horreur servant de miroir aux sentiments les plus purs que rien, ni même les dents les plus acérées ou le noir abyssal de la mort, ne saurait emporter. Apprendre à se noyer porte à merveille son titre, tout en nous rappelant que c'est parfois aussi une manière d'apprendre à résister avant de mieux s'abandonner.

Je remercie les éditions le Cherche midi et Léa pour cette lecture réalisée dans le cadre du Picabo River Book club.
Lien : https://lightandsmell.wordpr..
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