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Critique de Patsales


Comment écrire sur la Corée de Nord? Ou plus exactement, comment écrire une oeuvre de fiction qui ne soit, par là-même, une approbation du régime? Car la dictature héréditaire des Kim a perfectionné le roman national comme aucun autre pays. Dès lors, quelle vérité un roman sur la Corée peut-il apporter? Adam Johnson peut-il ne pas être un allié objectif de la propagande nord-coréenne, puisqu'il emploie les mêmes subterfuges qu'elle, en donnant à croire ce qui n'est pas?
Bon, on se doute bien que Johnson a quelques billes et qu'il s'est largement documenté avant de traiter le sujet. Mais le livre s'intéresse peu aux faits: c'est l'art de la fiction qui l'intéresse, et une question fondamentale qui le taraude: qu'est-ce que la vérité?
Le roman, tel qu'il apparaît dans la table des matières, est composé de deux parties: une biographie et une confession. Mais il est plus complexe encore car différentes voix narratives s'entremêlent et les histoires y sont sans cesse réinventées ou interprétées. Si un marin manque à l'appel, le reste de l'équipage lui invente une mort honorable pour ne pas être contaminé par sa traitrise. Si une délégation est invitée par les Américains pour un pique-nique, elle hurlera à l'humiliation pour avoir dû manger avec les doigts. Mais est-ce mentir que de croire à ce que l'on affirme? le cher dirigeant est persuadé que l'otage qu'il torture est secrètement amoureuse de lui. Or le syndrome de Stockholm existe bel et bien. Et la propagande la plus éhontée ne ment pas toujours quand elle rapporte certaines exactions américaines. Si l'art officiel mythifie la fille du peuple, la femme qui l'incarne peut susciter un amour vrai...
De cet immense jeu de cache-cache entre vérité et mensonge, Johnson parvient à tirer deux enseignements:
- Ce n'est pas la propagande qui fait la dictature mais l'unanimité. le roman dit la vérité puisqu'il multiplie ici les narrateurs; et quand bien même ce ne serait pas le cas, il la dit, puisqu'un auteur de fiction n'a pas plus de légitimité qu'aucun de ses personnages ou de ses lecteurs.
- Il y a pire que l'union sacrée contre le bouc émissaire pour détruire la démocratie: c'est la haine de soi. Quand les enfants dénoncent leurs parents et que les époux se méfient l'un de l'autre, là se trouve la pointe acérée du fascisme. Et Johnson lui oppose une très belle valeur: l'intimité, "quand deux personnes partagent tout, quand il n'y a pas le moindre secret entre eux".
Quoi, c'est pas gai, comme bouquin ? Forcément, amis lecteurs, ça parle quand même d'une des pires dictatures qui soit. Mais comme disait peu ou prou cette chère Marguerite D., ça fait mal, oui, et ça fait du bien.
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