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Critique de fulmar


« L'homme se satisfait rarement de contempler la beauté. Il lui faut la posséder ».

Cette citation de Michael Somare, ancien premier ministre de Papouasie-Nouvelle Guinée, est mise en évidence au début du livre.
« Le voleur de plumes » laisse apparaître « le volume de pleurs », celles engendrées par tous les massacres d'oiseaux, au prétexte de la beauté de leurs plumes.
Ce sont leurs couleurs éclatantes qui attirent l'oeil, à l'instar de la couverture de ce livre, où le fond orange met en lumière les oiseaux et leurs plumes posés sur une tête cadavérique. Impossible de rester indifférent à cette linogravure qui associe la beauté, l'obsession et le vol du siècle, trois termes qui expriment le sujet de l'histoire.
Un jeune musicien, pendant une nuit de 2009, s'introduisit par effraction dans les réserves des collections ornithologiques du British Museum à Tring.
Il y vola près de 300 peaux d'oiseaux rares et colorés, aux noms paradisiaques.
Mais pourquoi, me direz-vous ? Il avait une passion pour la fabrication de mouches de pêche, réalisées en suivant les codes de montage de l'époque victorienne et en utilisant les plumes des mêmes oiseaux qu'au XIX ème siècle.

Avec l'interdiction par diverses conventions internationales du commerce des espèces les plus recherchées, certaines plumes peuvent atteindre des prix exorbitants dus à une vaste clientèle d'amateurs peu scrupuleux.
Deux années plus tard, au cours d'une partie de pêche, l'auteur du livre entend parler de cette affaire. Intrigué, il va, pendant plusieurs années, consacrer une grande part de son temps à tenter de répondre à des questions laissées sans réponse par l'enquête policière. Déroulement des faits, motivation du voleur, organisation du commerce des plumes, et surtout restitution au musée des spécimens volés, voilà des énigmes à élucider pour apaiser sa conscience.

Pour illustrer l'origine des collections d'oiseaux, il retrace l'histoire aventureuse d'Alfred Russel Wallace, un naturaliste contemporain de Darwin, qui fut le premier à étudier les paradisiers.

« On pressait et on séchait algues et mousses ; on déterrait et on mettait en bouteilles coraux, coquillages et anémones de mer. On concevait des chapeaux pourvus de compartiments spéciaux destinés au stockage des spécimens recueillis au cours des promenades ».

S'en suit la présentation du musée de Tring, créé pour héberger l'immense collection d'oiseaux d'un des membres de la richissime famille Rothschild.

Puis le livre revient sur la période de la plumasserie, des décennies durant lesquelles les oiseaux de nombreuses espèces furent tués en nombre faramineux afin de décorer les chapeaux des dames.
C'est pour lutter contre cette mode mortifère que quelques femmes, aux Etats-Unis et en Angleterre, initièrent des mouvements qui sont à l'origine des grandes associations de protection des oiseaux, telles l'Audubon Society ou la Royal Society for the Protection of Birds.
Mais la passion pour les belles choses, rares et chères, perdure. Elle conduit à des trafics internationaux, aujourd'hui grandement facilités par les communications numériques, le laxisme de forums spécialisés et de maisons de vente en ligne, et les faibles dotations des polices spécialement dédiées à leurs contrôles. Pas de quoi leur voler dans les plumes...
De l'histoire des grandes découvertes à l'ère d'Internet, l'enquête menée par Kirk W. Johnson nous rappelle tout l'intérêt de la préservation des grandes collections officielles et nous informe sur les sources d'atteinte à l'avifaune qui, sans fait divers de ce genre, passeraient inaperçues.
Divers passages du livre sont d'ailleurs de vibrants appels à un sursaut d'humanité pour mieux respecter le vivant.

« Les ports de Londres débordaient de cargaisons de peaux d'oiseaux exotiques destinées à alimenter en plumes le commerce de la mode. Tandis que les femmes rivalisaient pour obtenir les plus rares pour leurs chapeaux, leurs maris se pavanaient en les attachant à leurs hameçons ».

Témoignage pointilleux d'un fait divers qui a appauvri le patrimoine ornithologique, cet ouvrage très bien écrit - l'auteur a la plume facile - et remarquablement traduit, prend le lecteur comme le ferait un roman policier.

Le lien entre le vol dans le musée et la particularité de l'instigateur, il est autiste Asperger, ajoute une touche psychologique non dénuée d'intérêt. L'inspectrice chargée de l'enquête doute de la véracité du diagnostic et remet en cause ses propres sentiments.

« Cependant, si j'avais le syndrome d'Asperger, je serais vraiment mécontente que quelqu'un dise que, quand on en souffre, on est un criminel… car cela revient à dire que toutes les personnes atteintes du syndrome d'Asperger vont commettre des crimes »…

Edwin, le jeune musicien cleptomane, qui ne se rend pas compte de la différence entre le bien et le mal, ne peut expliquer ses agissements.
Il y laissera des plumes, comme pour toute obsession, qu'elle soit compulsive ou pathologique.
En tant que lecteur, je ne suis pas moi-même sorti indemne de cette situation, une histoire véridique racontée comme dans un thriller, avec un style fluide et accrocheur, et une somme de données naturalistes qui enrichissent le propos.

La nature humaine révélée à travers la cause animale.
Voleur, volume, plumes, pleurs, impossible de rester insensible.
Contemplation, possession, obsession, un regard en miroir sur nos propres contradictions.

« Si ma main était une plume et mon coeur un encrier, je prendrais deux gouttes de mon sang pour t'écrire : je t'aime ».

Cette citation anonyme résume à merveille le ressenti à la lecture de ce récit romancé. Moi aussi, j'ai beaucoup aimé.
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