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Critique de ODP31


ODP31
16 septembre 2020
« Mon père, James Whitherspoon, est bigame »
Incipit sans anesthésie, le coeur à vif pour ce roman de l'auteure afro-américaine Tayari Jones.
Ces mots sont ceux de Dana, enfant illégitime, qui doit grandir dans l'ombre de la famille officielle de son père, James. Elle vit avec Gwen, sa mère, à Atlanta, dans le milieu des années 80 et elle doit se contenter de la visite hebdomadaire et clandestine de ce géniteur, courant d'air qui brille plus par ses absences que par son courage.
La première partie du roman raconte cette adolescence passée à épier et jalouser avec sa mère l'autre famille, la « vraie », à essayer d'exister malgré les frustrations. C'est la politesse humiliante « des seconds choix » de passer toujours après, pour les études, les cadeaux ou les loisirs. Dana collectionne les amertumes comme d'autres les livres.
Récit double face, comme le souligne magnifiquement la couverture, histoire reflet de deux solitudes, puisque c'est au tour de Chaurisse, l'autre soeur, celle qui a le droit de figurer sur les photos de famille, de prendre ensuite la parole. Elle vit dans la lumière et à la différence de Dana, ignore tout de la double vie de son père. C'est l'histoire de sa propre mère, Laverne, qui va bouleverser son existence. Elle apprend que celle-ci a rencontré son père à l'âge 14 ans, qu'elle est tombée enceinte dans des conditions glauques, qu'ils ont dû se marier et abandonner certains rêves. La généalogie est parfois douloureuse.
Bien sûr, le lecteur attend le moment inévitable de la rencontre des deux soeurs, le choc des deux mères. Est-ce qu'un lien va pouvoir se créer entre Dana et Chaurisse, au-delà du sang ? La réponse de Tayari Jones sonnera très juste et trouvera écho aux oreilles de tous ceux qui qui ont été dépossédés d'une partie de leur enfance.
Une des autres réussites de ce roman repose sur ce que j'appelle les personnages satellites, ces seconds rôles qui gravitent tellement autour d'une histoire qu'ils finissent par la faire sortir de son orbite. Il y a l'oncle Raleigh, sorte de Casque Bleu serviable de la famille et amoureux transi de Gwen. N'oublions pas la grand-mère lucide et extralucide, Mlle Bunny, ou Marcus, le petit ami volage qui épaississent le trait de l'histoire.
Même si la question raciale et le combat pour les droits civiques sont évoqués, ils ne constituent pas le coeur de cette histoire. Ce n'est pas un film de Spike Lee. Femmes avant d'être noires, ce roman est avant tout celui de mères, de soeurs, de filles ou de filles-mères tourmentées par la figure du père ou du mari et dont le salut passera par différentes formes d'émancipation.
Après les roses, les épines. Dans ce récit, il m'a vraiment manqué la parole de ce père bigame. J'aurai aimé qu'une partie lui soit consacrée. Il n'est raconté qu'à travers les mots de ses filles. Sans rien lui pardonner, ses deux femmes et ses enfants l'aiment et il n'est pas présenté comme un serial lover incapable de brider ses instincts. Prisonnier de ses mensonges, son égoïsme et son obsession de ne pas détruire la vie qu'il s'est construite avec sa société de location de Cadillacs avec chauffeur dictent sa mauvaise conduite. J'aurai aimé entendre sa conscience. Il ne reste que la mystification d'un homme prisonnier de ses mensonges et qui se pose en victime.
Je peux aussi reprocher au roman la crue lacrymale qui noie parfois le propos. C'est dommage car le récit est bien rythmé et les dialogues très réussis.
Au final, un roman original et touchant, de très beaux portraits de femmes, de vrais sujets de société, mais l'absence de parole du père a frustré le lecteur que je suis.
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