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Critique de Malivriotheque


Ayyan, Intouchable, travaille dans un célèbre institut et est bien évidemment entouré de scientifiques et professeurs, des Brâhmanes censés tout savoir. Si la loi interdit désormais de considérer les Intouchables comme des parias, la réalité est toute autre et Ayyan ne supporte plus l'injustice et le mépris constant que lui et sa communauté subissent quotidiennement. Lui vient alors l'idée de faire passer son fils de onze ans pour un vrai génie afin de s'attirer la lumière et surtout de se venger d'un système qu'il exècre...

Sur un ton espiègle, Manu Joseph nous présente une Inde moderne toujours scindée par un système de caste hérité dont elle a un mal fou à se défaire. Ayyan, un homme intelligent mais né Dalit (Intouchable) a peu d'espoirs pour sa vie à cause de la caste dans laquelle il est né. En faisant de son fils le nouveau Einstein, il secoue les pensées, se moque des idées reçues, raille ouvertement l'idée que seuls les Brâhmanes peuvent détenir la connaissance et en être dignes. Dans ce roman, l'auteur nous présente des scientifiques qui possèdent le statut mais tourne beaucoup en dérision leurs expériences et discours. Cette histoire démontre que faire partie de la caste historiquement la plus méprisable ne rend pas moins intelligent et que tout un chacun est un être humain à part entière.
Certes, pour parvenir à ses fins, Ayyan use de stratagèmes pas très glorieux, mais c'est la société indienne elle-même qui lui offre sur un plateau ce qu'il se permet de faire. En cela, c'est une fable contemporaine très intéressante et assez bien foutue.
L'on pourrait néanmoins reprocher plusieurs choses à ce récit, surtout sur le fond. On comprend que le but est de montrer que les Intouchables ne sont pas de la merde face aux Brâhmanes. Mais pour parvenir à cette conclusion, l'auteur tourne tellement en dérision les scientifiques que ça en devient vraiment trop caricatural. La Science a toujours tâtonné pour atteindre la connaissance et les avancées technologiques, voire édifier des règles physiques et biologiques. Il y a toujours eu des scientifiques moqués pour leurs idées, mais certaines ont révolutionné de manière catégorique la vision du monde d'aujourd'hui. Alors oui, parmi les milliers d'hypothèses soulevées chaque années, certaines ont de quoi faire rire. Mais critiquer la Recherche ne fait pas avancer le schmilblick, et surtout pas le monde. Peut-être Manu Joseph va-t-il un peu trop dans ce sens en suggérant que les scientifiques étudient des choses qui ne servent à rien et dépensent des milliards sans réfléchir ou de manière raisonnable, et surtout en insinuant qu'ils pensent tous qu'ils sont plus utiles et plus intelligents que le reste de la planète. J'accorde néanmoins à l'auteur le fait qu'il s'intéresse majoritairement au territoire indien, et donc relie cette interprétation au système des castes précédemment cité.
Ensuite, l'on pourrait croire qu'il dénonce un problème actuel et qui a toujours été actuel : la faible proportion de femmes dans le corps scientifique. Grâce à son personnage d'Oparna, trentenaire biologiste qualifiée qui détonne dans le milieu purement masculin de l'Institut avec ses talons qui résonnent dans les couloirs, il critique allègrement le caractère souvent machiste de ce milieu, notamment grâce aux scènes d'hommes dans l'Institut qui imaginent ce qui se trouve sous son sari, ou apprécient le mouvement de ses cheveux, ou quand Oparna préfère se taire et rester discrète lors de colloques de peur de se faire encore plus remarquer, les femmes devant toujours plus justifier leur présence dans de tels milieux. Or, alors qu'on croit avoir affaire à un personnage féminin qui défie les lois machistes et tente de s'imposer légitimement, Manu Joseph la transforme, au fil de son histoire, en simple dame vengeresse qui punie l'homme qui l'a trompée et devient ainsi une menteuse et une manipulatrice. Bonjour l'image de la femme !!! Quelle déception que de voir ce personnage prometteur être encore une fois stigmatisé et entériné dans cette vision de la femme dans encore beaucoup de pays orientaux comme la tentatrice, la faible, l'antithèse de la vertu ! Les évènements du bouquin annihilent grâce à ces faits tout lien femme/intelligence ou femme/savoir. Et le pouvoir qu'on espérait qu'elle ait au regard de la science se voit transformé en pouvoir sur les hommes, un pouvoir dévastateur. Notons d'ailleurs qu'après son méfait et ses mensonges, Oparna se fiche complètement de sa carrière et ne semble pas vouloir garder une place pourtant méritée au vu de ses diplômes et son expérience, tout cela à cause d'une histoire d'amour avortée. La femme, encore reléguée au seul pouvoir de l'amour et du coeur... Plutôt réducteur, comme vision... Sans compter que toute l'histoire d'amour entre Oparna et le directeur du centre vient encore plus jeter du discrédit sur le monde scientifique...
C'est justement cet aspect, qui au fur et à mesure de mes lectures de littérature indienne, m'exaspère. Ce statut de la femme, cantonnée à jongler avec les sentiments et le sexe plutôt qu'avec sa tête. Ohh, je ne suis pourtant pas une féministe pure et dure, tout comme je sais bien que le statut de la femme en Inde n'a (encore) rien à voir avec le nôtre en Occident (et encore). Il reste toutefois, et quoi qu'on en dise, fatigant de voir les personnages féminins enfermés dans les fonctions du coeur, généralement pris violemment pendant des scènes de sexe (ce roman ne fait pas exception) et dont le corps est continuellement convoité et admiré et décrit, presque léché par la simple pensée.
L'intrusion de l'histoire d'amour entre Arvind et Oparna, justement, et même si elle est nécessaire pour le déroulement de l'intrigue, vient beaucoup casser le rythme instauré par la tromperie organisée par Ayyan. Elle occupe presque la moitié du récit, et pendant longtemps on ne voit pas vraiment l'intérêt. Vu sa nécessité révélée vers la fin du roman, l'on pourrait du coup dire que l'auteur aurait pu raccourcir de beaucoup ce passage. Son propos n'en aurait pas été moins compris.
Malgré les critiques que j'ai pu faire, cela reste un roman assez intelligent, qui soulève de manière plutôt vive et taquine une problématique grave dans laquelle l'Inde est embourbée. Il offre depuis un angle original une vision complémentaire fictive mais pas tant du pays.
Lien : http://livriotheque.free.fr/..
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