AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Ouvrir ce livre et y entrer comme on entre dans le chant clair d'un ruisseau. Laisser ses pieds nus cheminer dans l'eau fraîche, sur les galets à peine lissés par le cours de l'onde.
Ce livre nous parle de la vie ordinaire, des destins faits de riens, à quoi tient la vie au juste. A peu de choses, la vie tient peut-être seulement dans la force d'une brindille, on peut en faire ce qu'on veut dans nos doigts pétris d'espoir et d'illusions. C'est ce que nous dit Charles Juliet, dans ce très beau récit, sobre et poétique. Lambeaux, selon la définition du Petit Robert, cela veut tout simplement dire : morceaux déchirés. Mais étymologiquement, le Petit Robert nous parle aussi de l'origine du mot et qui signifie : morceaux de chair. Voilà, tout est dit. Ce livre nous parle de blessures, de déchirures, de vies lacérées.
Il nous faut entrer dans ce livre à pas menus, pour ne pas effrayer la voix qui nous chuchote. Car les mots de ce livre se disent à peine du bout des lèvres. C'est une voix singulière, pleine de larmes et d'émerveillement.
La lumière d'une âme pure se voit souvent par le contraste des ombres qui s'en saisissent. Car les âmes pures ont des trajectoires qui traversent parfois la boue des autres sans toutefois les éclabousser, du moins dans leur âme.
Dans de livre sobre et ténu, Charles Juliet nous dit cela. Et nous avons deux bonnes raisons de le croire, puisqu'il nous parle de ses deux mères auxquelles il rend ici hommage.
Charles Juliet a eu deux mères, l'une biologique, l'autre adoptive. Il les nomme ainsi : l'esseulée et la vaillante, l'étouffée et la valeureuse, la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée. Il les aime l'une autant que l'autre. Il leur doit tout et le leur rend dans ce texte fondateur et réparateur de lui-même, qu'il a mis du temps à écrire.
Le récit est composé de deux parties inégales ; la première partie est un hommage à Hortense, sa mère biologique qu'il n'a pas connue, l'autre plus concise est dédiée à sa mère adoptive, Félicie, à qui il sera confié provisoirement.
Et voilà le texte qui se déroule, nous découvrons Hortense qui voudrait échapper à sa condition de paysanne et de pauvreté, fuir ce père d'une brutale autorité, vivre autre chose que ce qui pourrait être déterminé par avance. Il la fait revivre dans ce tutoiement intime. Nous découvrons cette femme aimant la vie, mais, qui veut quitter le sort inexorable qui l'attend. Elle tient son journal sur un cahier acheté à un colporteur de son village. le besoin décrire de Charles Juliet est peut-être né dans ce signe transmis par sa mère. Elle est sensible et malheureuse et c'est sa voix intérieure qui s'exprime sur un petit cahier. Nous sommes dans un village de montage isolé durant plusieurs mois du reste du monde, à cause des neiges de l'hiver. C'est un silence qui enferme le paysage, les femmes et les hommes. Au printemps, la neige fond et ruisselle sur les chemins et les pentes. Elle ruisselle comme des larmes sur le visage de ce paysage austère, isolé de tout. Sur le visage de cette femme qui cherche sans cesse à partir, s'enfuir c'est son rêve, fuir ce destin inexorable qui l'entraîne peu à peu si loin de ses rêves et l'enferme chaque jour de plus en plus dans ce cloisonnement intérieur…
Puis vient la seconde partie, plus concise, comme si tout fut donné à celle dont les rêves de vie furent ravagés. Certains diront peut-être que ce texte est bancal. Et tant mieux donc car rien n'est symétrique dans une vie faite de blessures et d'espérance. Dans le second texte, il peint Félicie, par le détour de son enfance à lui, d'un autoportrait, l'enfant de troupe qu'il fut, sensible et meurtri sans peut-être le savoir encore, du poids de l'abandon de sa mère biologique, alors qu'il a sans cesse peur de perdre sa mère adoptive, l'aimante, peur de la perdre à jamais.
Ce texte est une écriture intime d'un enfant qui s'adresse à ses mères. Se remet-on un jour d'une enfance blessée, meurtrie ? Nous refermons ce livre très beau avec cette question qui nous fait mal. Mais avec aussi la pensée consolante de savoir que l'écriture peut aider à apaiser cette douleur.
Commenter  J’apprécie          3610



Ont apprécié cette critique (33)voir plus




{* *}