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Critique de nadejda


Michel Jullien nous décrit par le menu la fin d'un règne, celui de Charles V, et celui des copistes, nommés aussi «écrivains», de manuscrits sur parchemin. Il le fait à travers le quotidien de Raoulet d'Orléans l'un des copistes attitrés de Charles V.
Lassé de se voir proposer des bibles, Raoulet est convoqué pour une nouvelle commande, dans la tour où le roi a établi sa «librairie» (bibliothèque) et conserve ses précieux manuscrits enluminés. Ce sera à la retranscription des chroniques royales qu'il va devoir désormais s'atteler.
Et ce ne sont pas les livres seuls qui sont enluminées mais aussi les figures, il faudrait dire les tronches ou les trognes que nous décrit avec une verve parfois rabelaisienne Michel Jullien, dans la relation de la vie de Raoulet , de sa femme Maroise, de Oudette l'unique servante qui nourrit tout le petit monde des employés de l'atelier sis à Paris dans la rue Boutebrie.

«Maroise faisait les encres. Les noix de galle les plus fripées sont les meilleures, un apothicaire de l'île les lui choisissait, écartant les vesses-de-loup lisses, les bulbes fermes, lui réservant les avachies, sporulantes.» p 65

Dans une prose truculente, l'écrivain manipule la langue en démiurge. En utilisant des mots rares, goûteux, «des dégelées de verbes» qu'on a plaisir à savourer il sait donner à son récit puissance évocatrice et précision. 
Quelques métaphores surprenantes surgissent qui viennent nous relier au temps présent : nous décrivant Raoulet, «ses oreilles disquées, cernées du bel ourlet de leur circuit» l'auteur ajoute «Mais on ne les voyait pas, perdues sous ... son encoiffade exceptionnelle, fortement tignassée, à l'orange luminescent, d'un feu, d'un roux équivalent à ce que sont de nos jours les clignotants d'automobile.» P45 46
L'auteur nous rend palpable tout un monde disparu où la fabrication du livre et la vie de ceux qui participaient à son écriture et sa mise en forme se mêlaient pour ne faire qu'un, dans un mélange charnel d'odeurs fortes, de sons, un lien physique profond, direct qui va s'éteindre progressivement avec Gutenberg et disparaître complètement de nos jours.
Toute la vie grouillante du quartier où habite Raoulet d'Orléans participe aussi de son travail sans oublier l'ombre de Villon quand apparaît «la Machine» le gibet de Monfaucon qui occupe le premier chapitre (peut-être un peu long), et la fin de ce livre qui sort de l'ordinaire.

Toute avancée technique n'a pas que du mauvais : quelques manuscrits copiés par Raoulet d'Orléans, réservés à l'entourage royal, sont désormais accessibles dans leur intégralité et téléchargeables sur le site Gallica de la Bnf. S'interrompre dans la lecture «d'Esquisse d'un pendu» pour aller les feuilleter et mieux comprendre le travail de cet homme et des aides de son atelier est vraiment un superbe complément apporté à cette lecture en elle-même déjà passionnante.
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