Citations sur Richard Wagner, Sa Vie et ses Oeuvres (8)
Tout à la, fin de son séjour à Paris et bien qu'il fût surtout préoccupé d'amasser un peu d'argent pour regagner son pays, Richard Wagner, dans ses moments de loisir, lisait l'histoire d'Allemagne avec l'espoir d'y trouver un sujet d'opéra. Ses recherches furent longtemps vaines; mais ce qui le frappa de prime abord, c'est que le poète et le musicien étaient toujours en lui d'accord pour repousser tel ou tel sujet, et dès qu'un épisode historique lui paraissait impropre à la mise en oeuvre dramatique, il échappait également à son sens musical. Cette observation le confirmait dans l'idée qui lui était déjà venue que les sujets légendaires convenaient beaucoup mieux que ceux de l'histoire à la musique, et cependant il cherchait toujours de ce coté.
Voilà tantôt quatre ans que Richard Wagner tomba comme foudroyé. Sa mort remonte-t-elle assez loin pour qu'on puisse se mettre au point convenable afin de juger l'homme en toute impartialité? L'heure a-t-elle enfin sonné d'accorder a ce grand génie la pleine justice que ses plus acharnés détracteurs lui avaient promise pour après sa mort et qui semble ne devoir venir qu'après la leur? Apparemment, car la masse des auditeurs français, sans plus s'occuper de ces mesquines rancunes d'écrivains embourbés dans leur prose ou de ces petits intérêts de commerce, a fait franchement réparation à Richard Wagner des injures qu'on avait déversées sur lui de son vivant, et le public français, pris dans son entier, s'est montré beaucoup plus généreux, plus juste à son égard que certains individus jaloux, fanatiques ou rancuniers.
C'est durant un séjour d'été qu'il fit aux eaux de Marienbad en 1845 — soit deux ou trois mois avant l'apparition de Tannhoeuser — que Richard Wagner esquissa le plan de Lohengrin. Il était alors fort heureux d'en avoir fini avec Tannhoeuser ; il attendait un prochain succès réparateur et, pour la première fois depuis longtemps, il se laissait aller à sa gaieté naturelle en suivant le cours de riantes idées.
Malgré l'insuccès du Vaisseau fantôme, la direction de l'Opéra de Dresde avait accueilli avec empressement Tannhœuser et faisait de notables dépenses pour le représenter dignement : les décors avaient été commandés à Paris par Dieterle, et les meilleurs chanteurs étaient mis à la disposition de Wagner. Mais la musique les déroutait.
On fait encore un crime à Richard Wagner d'avoir composé en 1871 une marche triomphale pour le couronnement de l'Empereur d'Allemagne. Il aurait mieux fait de s'abstenir, assurément, lui qui a vécu plusieurs années en France ; mais n'est-ce pas le lot de tous les musiciens de célébrer les succès militaires de leur pays — et encore n'attendent-ils pas toujours des succès très avérés.
Richard Wagner est la volonté, l'énergie, l'opiniâtreté incarnées; comme tous ceux qui s'attachent obstinément à la poursuite d'une idée fixe, on l'a traité longtemps de maniaque. Aujourd'hui, Bismarck et lui, ces deux hommes dont les caractères, sinon les génies, ont tant de traits de ressemblance, sont les dieux de l'Allemagne. L'élite des Germains gallophobes et mélomanes est prosternée à leurs pieds. Bismarck et Wagner ont fait preuve, dans deux sphères d'action bien différentes, du même esprit absolu et systématique, de la même ténacité passionnée, de la même fougue de tempérament, de la même absence de scrupules sur le choix des moyens. L'unité que le diplomate a conquise par adresse ou de vive force dans la politique, l'artiste a essayé de la réaliser dans l'art.
En effet, la nature artistique de Richard "Wagner est tellement complexe, son génie musical révèle une telle vigueur et exerce une telle attraction, qu'à défaut d'une connaissance approfondie de ses œuvres, on a recours aux comparaisons les plus étranges pour le juger en bien ou en mal.
Le mieux, avec un tel génie, est de raconter tout uniment sa vie, de juger ses actes et ses œuvres aussi simplement que s'il était mort depuis cinquante ou soixante ans, et de ne pas l'écraser sous des éloges hyperboliques qui risquent de le rendre ridicule au.x yeux des gens sensés ; c'est en un mot d'écrire à son sujet un livre d'histoire, non un livre de combat ou de parti.