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Critique de AugustineBarthelemy


K. arrive au village par une soirée enneigée. Épuisé par son voyage, il s'arrête à l'auberge du pont pour y passer la nuit. Quelle n'est pas sa surprise quand l'aubergiste lui refuse une chambre mais l'autorise à poser une paillasse dans la salle pour dormir. K. s'endort mais est presque aussitôt réveillé par un homme, Schwarzer, fils du portier du Château, à qui appartient le village tout entier. Il apprend à K. que ne disposant pas d'autorisation du comte Westwest, il n'a pas le droit de dormir dans le village. K. improvise et s'invente arpenteur, spécialement mandaté par le Château. Pour s'assurer de la vérité, Schwarzer appelle le Château. Un premier coup de fil lui apprend que personne n'attend un arpenteur, K. serait un imposteur ! Mais un deuxième coup de fil vient contredire le premier : K. est bien ce qu'il dit être, il est autorisé à rester, à sa grande stupéfaction !

Le lendemain, plein d'un nouvel espoir, lui qui a laissé femme et enfants pour se construire une nouvelle vie, K. décide de se rendre au Château pour chercher son autorisation, bien décidé à se faire une place dans ce village. Mais le chemin est long, très long. Si long qu'il n'y parviendra jamais, s'arrêtant en chemin pour discuter avec un instituteur mal embouché, puis à la famille de Barnabé, exclue de la vie du village, vivant dans le mépris de tous suite à un incident. de fil en aiguille, K. apprend que le fonctionnaire Klamm, que tout le monde connaît mais que personne ne voit jamais, est le seul à pouvoir lui donner l'autorisation qu'il recherche. Déterminé, il se rend à l'Auberge des Messieurs, où tous les fonctionnaires se rendent après leur journée de travail. Il y fera la rencontre de Frieda, la serveuse, qui a les faveurs de Klamm. Dès lors, K. la séduit, persuadé que grâce à son entremise, il pourra accéder au fonctionnaire. Elle le lui montrera par le trou de la serrure, mais K. ne le verra pas, il lui est impossible de distinguer une quelconque silhouette ! Cependant, K. s'obstinera à vouloir rencontrer ce Klamm qui tient son possible avenir dans ses mains.

Le Château, en plus d'être franchement inrésumable, est un texte labyrinthique qui se révèle volontiers oppressant. Rien n'est jamais ce qu'il semble être. La relation de K. et Frieda en est un exemple parmi tant d'autres : s'aiment-ils sincèrement ou chacun des deux se sert-il de l'autre ? Car selon les récits des différents personnages, Frieda est soit manipulée par K. qui voit en elle une façon de parvenir à son but, c'est la thèse de l'aubergiste qui l'aime comme une mère, soit une terrible manipulatrice qui se sert de K. pour s'élever socialement, c'est la thèse défendue par Pépi, sa remplaçante à l'auberge des Messieurs. Impénétrable, elle finira par quitter K. pour un de ses aides, en lui apprenant que tous deux sont amis d'enfance et qu'ils s'aiment. Juste avant, elle lui affirmait que son aide était un pervers lubrique qui la harcelait…. La narration est faite d'une telle manière que toute idée de vérité est rendue impossible. K. nous apparaît comme une personne fiable, sensée, bien que de plus en plus déstabilisé par les nombreuses situations qu'il est amené à voir. Quand il explique sa cause, quand il expose ses points de vue, le lecteur est frappé par son bon sens et sa bonne foi. Mais la réponse des personnages retourne toujours cette impression. Et le lecteur se retrouve avec un K. qui lui paraît alors obstiné, manipulateur, subversif.

Très vite, le lecteur comprend que les tentatives de K. seront toutes vouées à l'échec. Ce qui rend la situation du héros particulièrement tragique : on le voit s'agiter et se débattre alors que le lecteur sait déjà que tout est inutile. le village tout entier est soumis à l'autorité du Château et à son arbitraire. Nul ne voit jamais les fonctionnaires qui ont un véritable pouvoir, mais les décisions qui leur parviennent, même les plus absurdes, infléchissent durablement leur vie, et ils s'y soumettent aveuglément sans plus de réflexions. K. qui essaye désespérément de comprendre le fonctionnement du village se confrontera toujours à l'hostilité des habitants outrés qu'il ne comprenne pas les règles, ni ne semble les accepter. Mais comment accepter des décisions d'un pouvoir aveugle et tout-puissant qui peut aller jusqu'à nier votre existence en remettant en cause l'utilité de votre tâche et de la personne que vous êtes ? Comment K. pourrait-il accepter de se voir, en un même jour, confirmer dans son emploi d'arpenteur, puis apprendre de la bouche du maire que le village n'a pas besoin d'arpenteur, que sa présence est une erreur administrative et qu'il n'a donc aucune raison d'être, avant de recevoir un courrier qui le félicite pour un travail qu'il n'a même pas pu accomplir ! Et pourtant, tous les habitants acceptent ce pouvoir arbitraire et absurde, consacrant un système aliénant et totalitaire. À l'instar de Barnabé, fier de son travail de coursier mais si désespéré de ne se voir confier que des tâches subalternes qu'il doit quémander pendant des jours qu'il ne distribue plus les rares messages qu'on lui donne, K. est condamné d'avance à un épuisement aussi bien physique que psychique.

Le Château, roman inachevé, est une oeuvre riche en interprétations. Certains le lisent en regard de le procès, y voyant une réponse ou un miroir inversé. On peut aisément aussi rapprocher la figure de K. et celle de Franz Kafka, lui-même exilé, né Autrichien, mort tchécoslovaque, Pragois mais de langue allemande, juif mais né d'une famille ayant rejeté le judaïsme, une identité trouble qui explique la prépondérance, dans son oeuvre, d'un individu dont le nom est réduit à une simple initiale, perdu, déboussolé, qui cherche une place au sein d'un groupe, que ce soit la famille ou la société, et qui est souvent en lutte contre lui-même.
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