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Critique de Albertine22


e viens de tourner la dernière page de ce roman. Je regarde, une nouvelle fois, sa couverture, si belle et épurée et je me dis qu'avec Han Kang, je n'ai pas suivi de lecons de grec mais une leçon de lecture. Plus d'une fois, j'ai été tentée d'abandonner ce livre, face à un passage hermétique pour moi. A chaque fois, j'ai été rattrapée par une phrase, un paragraphe, un chapitre d'une absolue limpidité, confinant à la grâce.

Un mois de juillet chaud et moite à Séoul. le cours de grec ancien dispensé par l'un des principaux protagonistes n'est plus suivi que par quelques personnes. le professeur porte des lunettes aux verres très épais. Aucun de ses étudiants ne connaît son secret.Il est atteint d'une maladie dégénérative et perd lentement, mais inexorablement la vue. le diagnostic a été posé très tôt et depuis, cet homme vit avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Han Kang suggère plutôt qu'elle ne montre les incidences de cette cécité programmée sur les choix de vie qu'il a pu faire. Toute sa famille a quitté la Corée du Sud pour l'Allemagne alors qu'il était adolescent. Il a décidé d'y revenir, seul, alors que sa maladie, a énormément progressé. Ce retour au pays de sa naissance, ce bain linguistique dans sa langue d'origine semblent apaiser sa peur grandissante du moment où il va basculer dans l'obscurité.

Une de ses étudiantes l'intrigue, une femme entre deux âges, de noir vêtue, qui ne parle jamais. Elle ne répond à aucune question, il en conclut qu'elle est muette. Cet autre personnage souffre d'un handicap plus complexe. Les mots se refusent à sortir de sa bouche. Ils sont là, quelque part, mais "la chose" est revenue. Cette "chose" apparue à l'adolescence est un blocage au niveau de la parole, un mutisme inexpliqué, la privant de toute vie sociale, lui ôtant ce qu'elle a de plus cher et de plus douloureux, sa passion pour le langage. Très jeune, elle a été fascinée par les mots, par leur extraordinaire richesse. Fascinée et effrayée. Pour elle, un mot de travers est une blessure. Ce rapport ambivalent à sa langue l'a amenée à ce cours de grec ancien. Elle espère que l'apprentissage de celui-ci, extrêmement ardu, va lui permettre de s'extirper de sa gangue de silence.

Cet homme et cette femme sont comme deux papillons de nuit tournant autour d'une source de lumière. Ils sont attirés par celle-ci alors même qu'elle a le pouvoir de les détruire. Pour l'homme, cette source porte un nom : Joachim Grundel. Il a fui l'Allemagne pour échapper au désir ardent de celui-ci. Pour la femme, cette source est peut-être sa trop grande aspiration à une langue débarrassée de toute scorie. Durant ces quelques semaines en suspens, dans cette grande ville, écrasée par la chaleur, le presque aveugle et la fausse muette, deux corps exprimant par leurs symptômes des personnalités complexes, vont se chercher à tâtons et se trouver.

le style de l'auteure est particulier, parfois réaliste, épinglant sans concession ses contemporains, parfois d'une poésie épurée. Ce sont ces instants de lecture, ces fulgurances, que je retiendrai surtout de ce roman. La fin est un véritable bijou.



Une lecture âpre, sombre, parsemé
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