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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2017/2018, écrits par Zack Kaplan, dessinés et encrés par Andrea Mutti, avec une mise en couleurs réalisée par Vladimir Popov. le tome se termine avec 15 pages d'informations sur la série (texte & dessins / schémas) commençant par une carte de la galaxie, puis passant en revue 10 races extraterrestres, les 3 personnages principaux, les engins et tenues des agents de l'ESA, 8 types de vaisseaux spatiaux, les caractéristiques du port spatial terrestre et les protocoles de sécurité.

Il y a quelques années de cela, l'humanité a effectué son premier contact avec des extraterrestres. Des délégués d'un consortium rassemblant un millier de races extraterrestres ont pris contact avec les humains pour leur faire une proposition d'affaires : installer un port spatial au large de la côte de la Californie, en échange d'une technologie permettant de transformer l'eau en énergie. Durant les premières années d'exploitation de ce port, seule une vingtaine de vaisseaux est venue accoster, mais au temps présent du récit, le flux est de l'ordre de 300 par an. Les règles sont simples : les extraterrestres n'ont pas le droit de sortir du port, seuls les humains autorisés peuvent y pénétrer. Au cours de ces années d'exploitation, il y a eu quelques incidents : 39 incursion d'extraterrestres à San Francisco et ailleurs, occasionnant la mort d'environ 3.000 civils. Les différentes entreprises ayant décroché les contrats de construction du port ont fini par fonder une police spécifique : l'ESA (Earth Security Agency). Son rôle est de neutraliser les extraterrestres en goguette et de les ramener vivants à leur vaisseau.

Ce jour, une journaliste de la chaîne télévisuelle WNN réalise une interview en direct de Tom Rutgers, le directeur de l'ESA, le questionnant sur les prérogatives des extraterrestres, la préséance donnée à la valeur de leur vie sur celle des humains, sur les bénéficies réelles du contrat passé avec le consortium et sur le périmètre d'action des forces de police de l'ESA qui interviennent parfois auprès des populations civiles. Dans le même temps, le commandant de l'ESA distribue les missions du jour. Un détachement doit assurer la sécurité d'une délégation du consortium venue pour renégocier le contrat du port. Les agents George Rice et Eric McIntyre doivent aller enquêter sur un appel relatif à un cadavre à El Granada, et ils sont filmés par 2 drones volants de WNN. En sortant, ils croisent Emily Goden, spécialiste en biologie extraterrestre et fiancée de George Rice.

Dans la production pléthorique de nouvelles séries publiées par Image Comics dans la deuxième moitié des années 2010, le lecteur n'a que l'embarras du choix. Il découvre ce recueil composé uniquement de 4 épisodes, avec un prix réduit, un dessinateur ayant déjà travaillé à plusieurs reprises avec Brian Wood et un scénariste n'ayant à ce moment-là qu'une seule autre série à son actif Eclipse (dessiné par Giovanni Timpano). le point de départ est prometteur, avec des extraterrestres étant venu pour faire du business, sans aucune velléité d'amitié entre les peuples, ni de volonté de conquête. le scénariste a fort à faire pour exposer les principes qui régissent cette situation et ce contrat. Il a choisi de construire son récit sur 2 fils narratifs différents : l'interview du directeur Tom Rutgers et la mission confiée aux 2 agents de l'ESA. Par principe une interview télévisuelle entre 2 personnes assises face caméra ne présente pas beaucoup d'intérêt visuel. de fait, l'artiste représente les 2 personnages assis dans un fauteuil, regardant la caméra, ou se regardant l'un l'autre pour une question plus pénétrante, ou une réponse plus défensive. Pour ces séquences, Mutti utilise pour moitié des cases de la largeur de la page, avec uniquement une ou 2 têtes en train de parler. Pour autant, ces passages ne s'avèrent pas lassant, parce que les auteurs se sont limités à 2 pages dans l'épisode 1, 1 dans le 2, 1 dans le 3, et 3 dans le 4. Ils intercalent des images d'archive entre les réponses pour montrer de quels événements parle l'intervieweuse. le lecteur peut ainsi absorber une importante masse d'informations sur les événements survenus depuis le premier contact, mais aussi se rendre compte de l'impact du port sur le reste de l'humanité et sur son ressenti. Les expressions des visages et les postures apportent des indications sur l'état d'esprit des interlocuteurs, tout en conservant le formalisme et la maîtrise d'un débat télévisé.

Pour l'évocation d'événements passés comme les événements du temps présent, Andrea Mutti détoure les formes avec un trait fin et sec, parfois un peu cassant, pas toujours jointif. Il applique des aplats de noir aux formes découpées à l'emporte-pièce ; il ne recherche pas à réaliser des dessins plaisants à l'oeil. S'il y est sensible, le lecteur peut prendre un peu plus de temps pour regarder les dessins, et il constate que l'artiste n'est pas à la recherche d'une précision photoréaliste. Il préfère donner une impression sans trop peaufiner les détails architecturaux ou technologiques. Vladimir Popov réalise une mise en couleurs en retenue, sur la base de teintes grises et ocres, assez plates, évitant le sensationnalisme (comme le dessinateur), mais habillant bien les dessins en soulignant les reliefs, et en appuyant le contraste entre différentes surfaces. le lecteur peut donc regretter que Mutti ne soit pas plus précis dans l'approche descriptive car c'est l'un des attraits des récits de science-fiction que de donner à voir (dans le cadre d'une bande dessinée) un monde imaginé pour mettre en valeur la dimension touristique.

Pour autant, le lecteur s'immerge bien dans un monde pleinement réalisé comme en atteste les pages bonus en fin de volume. Andrea Mutti a conçu des apparences spécifiques pour une dizaine de races extraterrestres, même si elles sont toutes humanoïdes, ainsi que différents types de vaisseau spatial, et le plan général du port. le lecteur constate la cohérence et la solidité de ce travail de conception tout au long de l'histoire, y compris dans les tenues professionnelles des agents de l'ESA et dans leur armement. L'artiste adopte une approche naturaliste que ce soit pendant les scènes de dialogues, ou pendant les scènes d'actions quand Rice & McIntrye pourchasse un extraterrestre en goguette. du coup l'impression de manque de finition s'efface grâce à des planches comprenant un bon niveau de détails, et un monde soigneusement développé. le lecteur côtoie des individus normaux, avec un comportement traité lui aussi de manière naturaliste, constatant les conséquences directes de l'existence d'une source d'énergie propre et indéfiniment renouvelable, ainsi que la mainmise de quelques entreprises sur les capitaux générés par le contrat passé avec le consortium.

Zack Kaplan raconte son histoire à un bon rythme, sans perdre son lecteur en cours de route. Il le plonge dans une situation déjà établie : le port spatial fonctionne depuis plusieurs années. Il utilise l'interview du directeur Tom Rutgers pour délivrer les informations sur l'installation du port et sa construction par des multinationales spécialisées, ainsi que l'impact sur la société humaine. D'un côté, le lecteur peut avoir l'impression que ce premier tome remplit la fonction de présentation d'une idée de série, pourquoi pas pour être vendue à des producteurs de télévision. de l'autre côté, l'idée de départ n'est pas superficielle et la mission des 2 agents de l'ESA suivis par des drones caméras, constitue une véritable histoire. le scénariste sait donner un caractère différent à George Rice et à Eric McIntrye, que ce soit par leurs réparties, ou par la manière dont ils exercent leur profession. L'intervieweuse apparaît comme une journaliste aguerrie qui ne se laisse pas mener en bateau et qui a bien travaillé son sujet. le directeur de l'ESA ressort comme un individu rompu à ce genre d'exercice dont les réponses restent dans le domaine de la vérité, tout en acceptant les effets négatifs du commerce avec les extraterrestres du consortium.

Ainsi le scénariste maintient l'ambivalence du contrat passé avec les extraterrestres, à la fois bénéfique, à la fois avec des effets secondaires néfastes. L'humanité dispose maintenant d'une source d'énergie propre et renouvelable, mais elle l'a acquise en un temps trop rapide, ce qui a causé une transition brutale dommageable pour plusieurs catégories de salariés. L'humanité a établi un premier contact avec des races extraterrestres, mais finalement en étant contrainte d'accepter leurs conditions, et sans vraiment les côtoyer, puisque les voyageurs ont interdiction de quitter le port. de plus il appartient à l'organisation de l'ESA d'assurer la sécurité des voyageurs, avec une obligation de préserver leur santé et leur vie. du coup, comme le risque zéro n'existe pas, la population a bien compris qu'il y aura encore des dommages collatéraux, c'est-à-dire des pertes en vie humaine. L'exposé de la journaliste amène également le lecteur à s'interroger sur la réelle latitude de négociation dont ont bénéficié les représentants qui ont conclu le contrat. Par voie de conséquence, il comprend l'enjeu lié à l'extraterrestre en liberté, poursuivi par les 2 agents de l'ESA, et il se demande quels sont les enjeux liés à la renégociation du contrat qui doit avoir lieu entre le consortium et les délégués humains. En prenant un peu de recul, il se dit que le consortium a donné à la race humaine une source d'énergie, apport technologique de grande ampleur, mais sans lui donner la capacité de réaliser des vols spatiaux par elle-même, s'assurant ainsi de la maintenir clouée au sol, et avec plusieurs générations technologiques de retard sur le reste du consortium.

En seulement 4 épisodes, les auteurs racontent une histoire dense et originale, pleine de promesses pour la suite, avec 2 personnages attachants et normaux, pour des enjeux d'une ampleur qui rend paranoïaque.
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