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Critique de Antyryia



- C'est vrai que tu dors dans un cercueil ?
C'est une question que de jeunes adolescents m'ont réellement posés, il y a de nombreuses années, quand j'adoptais au quotidien un look des plus gothiques.
J'habitais alors dans un minuscule village d'une centaine d'habitants du nom de Gouves, et forcément je ne passais pas inaperçu.
Cheveux longs, vêtu de cuir, les ongles vernis en noir ... C'était suffisant pour que les imaginations s'emballent et pour que les rumeurs les plus étranges circulent à mon sujet.
Je n'ai par ailleurs jamais démenti.

Qu'est-ce qui fait que garder un secret soit aussi difficile ?
Pourquoi colportons-nous des ragots, qu'ils soient ou non fondés ?
Je ne juge pas, il m'est moi-même parfois difficile de garder ma langue dans ma poche quand j'ai entendu parler d'une anecdote croustillante ou quand certaines confidences sont difficiles à garder. Les intentions peuvent même être louables quand on ne sait pas comment réagir face à des informations dérangeantes et que l'avis d'une tierce personne peut permettre de prendre du recul et de mieux comprendre soi-même.
"Une question innocente. Un aveu soufflé au creux de l'oreille. Il n'en faut pas davantage pour lancer la machine et changer le cours de toute une vie."
Mais avouons-le, la majeure partie du temps, l'intention n'a rien de noble. Il s'agit de se rendre intéressant, d'amuser la galerie, de se moquer des travers d'une personne déjà peu appréciée. Alors on colporte des bruits de couloir, des morceaux d'intimité, de vieilles histoires ridiculisant un collègue, un supérieur, un voisin.
Peu importe que ce soit fondé ou pas. Peu importe le mal que ça pourrait causer.
Et si c'est suffisamment intéressant nos interlocuteurs le raconteront à leur tour.

Si Joanna Critchley a commencé à répandre une rumeur dans la petite ville de Flinstead, sur la côte anglaise, c'était par simple souci d'intégration.
Ou encore pour détourner le sujet d'une conversation embarrassante.
"Ici, les secrets ne restent pas des secrets bien longtemps."
Oui, ses motifs étaient animés des meilleures intentions. Mais c'est elle bien elle qui enclenchera un engrenage de suspicion et de haine.
"Si seulement j'avais fermé ma bouche à cette réunion au club de lecture ..."
Nouvellement arrivée, Joanna a préféré quitter Londres pour différentes raisons personnelles.
Afin de permettre à son fils métis, Alfie, de se faire des amis, elle jouera les langues de vipères pour se rapprocher d'autres mamans prétentieuses, et confirmera ce qu'elle a entendu dire et qui a plus ou moins été confirmé par le père d'Alfie, journaliste : Sally McGowan serait bel et bien l'une des résidentes de Flinstead.
"Elle a assassiné un petit garçon dans les années soixante alors qu'elle n'avait que dix ans."
Autrement dit, l'une des nombreuses vieilles dames résidant dans cette petite bourgade où tout se sait très vite, où les rumeurs se répandent comme des traînées de poudre, serait une meurtrière d'enfant. Et vivrait impunément sous une nouvelle identité, placée sous le programme de protection des témoins.
Et peu importe l'âge qu'elle avait au moment des faits, peu importe qu'un demi-siècle se soit écoulé.
Qui que ce soit, elle n'est pas la bienvenue.
Commence alors une chasse aux sorcières.
Aucun pardon n'est possible.
Et si la foule en colère découvre de qui il s'agit, la meurtrière devenue proie pourrait bien être victime de la vindicte populaire.
Pour Joanna qui culpabilise, pour les habitants avides de vraie justice, pour Michael Le journaliste qui tient sûrement un scoop, Sally McGowan devient une obsession.
Mais fait-elle seulement partie des habitants ? Et si ces derniers s'en prenaient à la mauvaise cible ?
"Des gens ont été contraints de quitter leur foyer à cause de rumeurs infondées."
Et qui est à l'origine des menaces à peine déguisées que reçoit la narratrice ?
"Les rumeurs tuent."

Là où le roman se distingue des autres thrillers psychologiques, c'est qu'il nous force à nous poser des questions.
Ici, la culpabilité de la meurtrière est atténuée du fait de son jeune âge au moment des funestes évènements.
En outre, il semblerait qu'elle ait vécu une enfance particulièrement difficile, avec un père extrêmement violent.
Et puis les évènements remontent à cinquante ans. Peut-on jamais pardonner à un meurtrier d'enfant ? Peut-il y avoir une date de prescription ?
"Aimeriez-vous que Sally McGowan habite juste à côté de chez vous ?"
Sincèrement ?
C'est à peine plus rassurant qu'un pédophile remis en liberté.
Il y a des gestes qui ne peuvent jamais être excusés, des secondes chances qu'on ne peut pas accorder tant elles paraissent inacceptables.
Et il faut de plus se mettre à la place de la famille de la victime. Parce qu'au final personne n'a été puni pour le meurtre du petit Robbie.
Sally McGowan a d'abord été envoyé dans un centre sécurisé où on lui a inculqué des valeurs, où des éducateurs ont lentement effacé les bases d'une enfance détruite. On lui a appris l'empathie, on lui a donné de nouveaux repères.
"Ils ne paient pas pour les horribles crimes qu'ils ont commis. Bien au contraire, ils reçoivent un traîtement de faveur qu'ils ne méritent pas."
A la suite de quoi le gouvernement lui a accordé l'anonymat, et la possibilité de tout recommencer ailleurs.
Mais incarner une nouvelle personne, devoir mentir constamment, ne jamais pouvoir se libérer d'un si lourd passé n'est-il pas une forme suffisante de punition en soi ?
"Elle a eu la chance d'échapper aux médias, contrairement à nous, les victimes, qui en avons subi les assauts quotidiens. Pourquoi a-t-elle le privilège d'avoir une vie privée ?"
Comment rendre une justice équitable dans de tels cas ?

L'affaire Sally McGowell fait bien sûr écho à la jeune et bien réelle Mary Bell, qui en 1968, la veille de ses onze ans, tuait un premier enfant de quatre ans.
Là encore sa folie meurtrière était liée à une enfance dévastée : Non seulement sa mère se prostituait mais la gamine elle-même devait satisfaire sexuellement certains clients.
Après douze années d'incarcération, les premières dans une institution pour jeunes délinquants, elle pourra recommencer sa vie sous un nouveau nom, protégée par l'anonymat.
Le parallèle est évident.
Qui incriminer ? Les principaux responsables sont les parents, mais on était dans les années soixante et ils n'ont tué personne, aussi atroce et irresponsable qu'ait pu être leur éducation.
Et à partir de quel âge devient-on assez responsable de ses actes pour être incarcéré à vie ? Quel châtiment sera jugé suffisant pour un jour envisager d'absoudre un meurtrier ?
Je suis sûr que les prisons américaines regorgent de psychopathes qui ont eu une enfance difficile. Ils n'en n'ont pas moins commis des actes monstrueux.
Et dans les rues trop souvent se retrouvent des tueurs libérés ne présentant soit disant plus aucun risque pour la société, jugement ô combien erroné parfois.
Sally McGowan a-t-elle été suffisamment punie ou la famille de la victime aurait-elle mérité une autre forme de justice afin de pouvoir faire son deuil d'un petit garçon en tout état de cause innocent ?

Mon reproche principal serait de dire qu'à ces questions complexes qui demandent beaucoup de subtilité dans leur approche, le choix de Lesley Kara a été de trancher dans le vif avec un final bien trop manichéen, presque contradictoire avec toutes les nuances grises qu'elle délivre sans son roman.
Mais la conclusion n'en demeure pas moins surprenante et réussie, après un roman suffisamment rythmé pour tenir en haleine le lecteur du début à la fin.
Grâce aux procédés habituels des thrillers de ce type : Petits secrets et gros mensonges, vie familiale, menaces, révélations progressives.
Un peu trop de personnages qu'on confond un peu au début mais au fur et à mesure on apprend à reconnaître les plus importants.
Un premier roman prometteur donc, au déroulé classique mais qui a le mérite de faire réfléchir aux conséquences inattendues que peuvent provoquer les ragots que l'on participe à répandre sans réfléchir.
Et qui oblige à s'interroger sur les enfants tueurs, sur la possibilité d'une réelle rédemption, sur la notion de justice rendue ou encore sur nos propres réactions en apprenant qu'un voisin aurait purgé une peine pour un crime abominable.
Quel serait alors notre regard ?

* * *

Quelques semaines plus tard, dans le petit village de Gouves ( Pas-de-Calais ).

- Eh Huguette comment vas-tu ? Tu veux rentrer boire une tasse de thé ?
- Salut Georgette. Avec plaisir ! Justement j'en ai une bien bonne à te raconter. T'sais qu'j'ai fini La rumeur hier ? Ben après j'suis allé voir sur l'ordinateur c'que les gens y'z'en avaient pensé.
- Ah oui ? C'est passé à la grand' librairie ?
- Attends, t'vas pas m'croire. Tu te souviens du jeune gars un peu bizarre habillé tout en noir à la fin des années 90 ? C'ti qui s'promenait tout le temps la nuit ? Eh ben il l'a lu aussi et il fait un avis sur la blogosphère. Il se fait appeler Antyryia.
- Oui Huguette, j'm'en rappelle bin. J'le trouvais bizarre, j'préférais changer d'trottoir quand j'le croisais çui-là.
- Oh si tu savais ! Il avoue même qu'il dormait dans un cercueil et qu'il sacrifiait des animaux, c'est écrit noir sur blanc de son propre aveu.

Forte de ces révélations, Georgette a enfin un autre sujet de conversation que le temps maussade et ses rhumatismes. Elle se confie à son médecin, à son facteur, à sa coiffeuse.
- Dans l'temps on avait un vrai voyou au village. Un fou dangereux qui dormait dans un cercueil et qui buvait le sang des animaux et aujourd'hui il se fait appeler Vampyryia. Il tient un blog où y raconte toutes les salop'ries qu'il a faites.

Denis, le facteur, affirme désormais à qui à qui veut l'entendre qu'enfant, il a vu un homme voler un bébé dans un landau et se transformer en chauve-souris en emmenant sa proie vers les Carpates.

Ravie de pouvoir faire la conversation, Mélanie révèle à ses clientes qu'on a enfin remis la main sur le monstre de Gouves qui a sévi à la fin du XXème siècle. Tout en colorant les cheveux, frisant, découpant, permanentant, bouclant et frisant, elle raconte comment le tueur s'est lui même trahi sur internet en diffusant des photos de ses victimes, de jeunes femmes égorgées et exsangues dont il buvait le sang.

Le docteur Clarisse s'empresse quant à elle de divulguer à tous ses patients qu'un ancien habitant de la commune était nécrophile et déterrait des cadavres encore frais pour en abuser.

"Peu importent qu'elles soient vraies ou fausses. Plus les rumeurs se répandent, plus elles gagnent en force."
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