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Critique de gruz


Un récit qui commence comme une farce, mais qui assez vite fait rire jaune. Les Sept Lunes de Maali Almeida est un roman qui ne ressemble à aucun autre, Shehan Karunatilaka jouant sur la forme pour aborder des sujets forts.

L'histoire débute dans une étonnante antichambre post-mortem, les récents décédés arrivant par flots à des guichets qui les guident vers d'autres endroits (n'oubliez pas d'aller faire vérifier vos oreilles !) avant de se diriger vers la grande lumière. Ou pas… Les âmes ont sept jours pour décider de s'y plonger, durant cette période, elles se meuvent dans cet entre-deux.

Almeida a été assassiné, comme nombre de ses compatriotes de la République socialiste démocratique du Sri Lanka (qui n'a de démocratique que le nom). Son absence de souvenirs de ses derniers moments de vie le pousse à une enquête pour comprendre son propre meurtre. Il a le temps, sept lunes c'est long, croit-il.

Roman de l'Imaginaire ? Oui, en partie. Texte léger ? Sûrement pas. L'auteur joue des mots et de cette atmosphère étonnante pour mieux parler de son pays et des horreurs qui s'y déroulent. Une manière de plaisanter avec la mort pour mieux la mettre en perspective.

Certaines parties sont clairement drôles, décalées, mais servent de passage entre les lunes et la progression du personnage principal, pour comprendre ce qui lui est arrivé, ce qui arrive à son pays.

Savez-vous beaucoup de choses sur le Sri Lanka ? Pas moi, en tout cas, avant de lire ce roman. Et pourtant, il y a à dire et à apprendre sur cette île de 22 millions d'habitants. Une vraie richesse de lecture.

Le livre se construit comme une sorte de devoir de mémoire, pour ne pas oublier les atrocités, pour tenter de progresser. Comprendre même quand on est mort, avant de ne plus pouvoir le faire, car, comme on l'explique au personnage, la réincarnation, c'est l'oubli.

Cet homme, qui a une forte tendance à l'auto-dévalorisation. Un personnage fort, torturé, complexe, qui aime se faire passer pour un moins que rien, homosexuel dans un pays qui ne les tolère guère, alors que c'est un photographe de valeur.

Et qui se révèle capable de marquer les esprits (sans mauvais jeu de mots), grâce à ses photographies de presse prises sur le terrain. Il a imprimé sur le papier des événements clés de l'Histoire récente du pays dans les années 80 et 90. Mais c'est un peu compliqué de les rendre publiques alors qu'elles sont restées cachées. Sauf à tenter de communiquer avec les vivants… Almeida devient alors la menace fantôme.

La période évoquée est largement décrite, telle une photo d'une époque, période Sida, avec d'immondes relents du passé du pays. Certains passages font littéralement froid dans le dos, par ce qu'ils décrivent, par la puissance d'invocation que développe l'écrivain.

Le pays connaît l'un des taux les plus élevés de suicides au monde. Les guerres entre factions tuent depuis longtemps des milliers de Sri-lankais chaque année. La corruption gangrène tout le système.

Sous couvert de cette fiction décalée, qui explose les principes de la narration traditionnelle, c'est bien de l'Histoire du pays dont il est question. Mais à hauteur des personnages, pour mieux comprendre et ressentir. le récit est parfois un peu long, mais marque durablement.

Le livre a reçu le Booker Prize 2022, l'un des prix littéraires les plus prestigieux, et sa publication est prévue dans 27 pays. Ça aide à imaginer la richesse de ce roman, qui rayonne loin de ses terres natales.

À la fois récit fantastique, polar atypique, drame personnel et récit historique, cette histoire de fantômes qui ont encore des choses à dire aux vivants marque par la qualité de sa narration autant que par ses idées.

Les Sept Lunes de Maali Almeida, sont un voyage étonnant, et Shehan Karunatilaka un écrivain audacieux et talentueux. de la belle littérature.
Lien : https://gruznamur.com/2024/0..
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