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Critique de Alexein


Il neige sur Nantes…
Donne-moi la main.
Le ciel de Nantes…
Rend mon coeur serein…

Jour idéal pour faire la critique d'un livre sur un huis clos un jour de blizzard. Cela faisait quelques années qu'il n'avait pas neigé ici.

Certains livres pâtissent de l'effet de contraste, du décalage avec le livre lu juste avant. Et Laura Kasischke n'a pas, mais alors pas de chance ou alors j'ai fait le mauvais choix de poser la main sur Esprit d'hiver alors que les dernières phrases de Au coeur de ténèbres étaient encore toutes fraîches dans mon esprit. Contraste cru et tranchant, d'abord dans le style (la traductrice n'a pas tous les torts, bien qu'elle mélange allègrement les subjonctifs imparfait et présent), où un paragraphe entier est souvent utilisé pour exprimer ce qu'une seule phrase aurait dit tout aussi pertinemment et sans perte d'effet. Oui, on pourrait retirer entre le quart et le tiers du livre sans rien en perdre.

L'idée est intéressante : un bon huis clos avec le surnaturel qui semble rôder autour, à moins que ce ne soit à l'intérieur. « Quelque chose les avait suivis… » blaaa-blaaaa-blaaa… Ça et d'autres répétitions et tics (même s'il s'agit de flux de conscience), c'est vraiment lourd et plombant. Sur la quatrième de couverture, je lis : « thriller mental asphyxiant » et j'ajoute ANESTHÉSIANT ! L'idée est vraiment riche et prometteuse mais on dirait qu'elle était trop grande pour les petites épaules de Laura.

Installer une ambiance de malaise, c'est bien, mais il faut assurer jusqu'au bout. Et notons au passage le placement de produits de la marque à la pomme croquée.

Oui, la mayonnaise stagne un peu trop en cours de route. Dommage ! Et le coup du shampoing, et du sac plastique, sans déconner !?! Plus d'une page pour chaque digression dont un trop grand nombre est totalement hors sujet et qu'elle enfile comme des perles. Laura K. baigne tellement dans le monde (le pays capitaliste par excellence, ça lui donne une bonne excuse, tout de même) des marques qu'elle ne peut pas s'empêcher de les citer à tour de bras. Ça remplit les pages. Et c'est tout boursouflé d'inconsistance. C'est gazeux. Et là l'effet de contraste avec Conrad est flagrant. On pourra me reprocher de faire cette comparaison avec un autre livre sans aucune raison valable. Et elle ne l'est pas, je l'accorde bien volontiers. Elle n'est que subjective et de toute façon il faut bien des points de repère pour juger la valeur des choses.

Déception au niveau du style, au niveau du traitement du fond qui aurait pu m'emporter, mais la tension était non pas absente mais faible. J'ai l'impression que l'histoire a réellement démarré vers la page 200 ; sur le total de 300 que compte le livre, ça fait long. Que dire de plus ? Quelques images qui se voudraient poétiques mais qui sont bancales, aseptisées et tombent malheureusement à plat.

Le principal mérite de ce livre, et qui expliquerait à lui seul pourquoi les lectrices de Elle lui ont décerné leur grand prix, ne serait-il pas de parler des souffrances dues aux maladies génétiques des femmes et du parcours de combattant que constitue l'adoption ? Ne voyez pas là de ma part matière à plaisanterie. Les pages sur l'orphelinat russe et les drames qui s'y déroulent m'ont ému tant ils sont profondément déchirants. À part aller sur la lune, je crois que les Russes ont tout fait et même au-delà de ce que l'on peut imaginer.

L'angoisse de cette mère écartelée, broyée par la culpabilité est poignante au possible mais j'ai cette impression tenace d'une lacune dans l'enchaînement, d'un manque de rythme, d'un manque de nerf dans cette histoire. C'est ça, trop d'engourdissement et de flottement et pas assez de nerf. Parce que les phrases sont trop diluées et stéréotypées, mécaniques. Aussi mécaniques que toute cette technologie dans laquelle les personnages baignent presque jusqu'à la noyade.

Ce sens du surnaturel propre à Laura K. est particulièrement efficace pour me mettre mal à l'aise, d'où une certaine répulsion de ma part à l'égard de l'atmosphère de ce livre où tout semble impalpable et fuyant, sans aucune aspérité à quoi se raccrocher, où le moindre élément qui paraît tangible se dérobe sitôt qu'on s'en approche. Entourée durant toute son enfance par des superstitieuses bigotes qui croyaient dur comme fer aux esprits, elle ne pouvait qu'en être marquée à vie. Et chez elle, la folie n'est jamais loin. Elle danse jusqu'à s'étourdir sur cette frontière qui sépare la réalité ferme et rassurante du vertige de l'aliénation, du délire enivrant du lâcher-prise.
Enfin, bref : Let it snow ! Let it snow ! Let it snow!
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