Où sont-ils maintenant, Laura Kasischke
…il n’y a pas d’adjectifs pour décrire la légèreté, la blancheur légère que je ressens. C’est comme si j’avais été prise dans un filet diaphane – je suis désincarnée, le filet ne retient que mon essence, qui flotte dans la brise. Ou alors, comme si j’avais des poids attachés à mes poignets et à mes chevilles, mais ces poids sont plus légers que moi, comme si je portais une robe faite d’émotions – un tricot humide et invisible.
Septembre tirait à sa faim et le temps faisait un effort concerté pour changer. Le ciel était désormais plus lavande que bleu, et il flottait dans l’air de feuilles affadies, amollies, lâchant prise, en perte de vitesse.
(page 151)
Durant toute la journée, un soleil humide avait tenté de s'extraire d'un nuage gris, dépenaillé, sans contours, pour finir par renoncer et se laisser sombrer derrière l'horizon.
Parfois l’âme pouvait être derrière le corps, peut-être, mais parfois elle pouvait être à côté ou en dessous, ou au-dessus, mais oui, actuellement, elle se trouvait à l’intérieur. Un livre, par exemple, avait son âme dans le creux entre les deux pages du milieu. C’était typique des choses pliables. Comme les papillons qui avaient l’âme où leurs deux ailes se rejoignaient.
Son frère aîné avait été tué au Viêt-nam. Ses parents, qui ne s’en étaient jamais remis, avaient succombé au genre de maladie dont meurent les gens recrues de chagrin : crise cardiaque pour son père, cancer de l’estomac pour sa mère.
(page 93)
Celle-ci avait trop regardé de clips vidéo. Elle cherchait à ressembler à ces blondes anémiques, coiffées en pétard, qui se trémoussent derrière le groupe. Elle avait le cheveu gras. Un piercing dans le nez. Son jean s’accrochait à la saillie de ses os iliaques. Le genre avec qui Craig aurai pu sortir quelques semaines, là-bas à la maison.
(pages 16-17)
Je porte une chemise de nuit faite de brume, dans laquelle je suis invisible.
L’hiver nous est tombé dessus en petits fragments célestes brillants d’oxygène et d’éther, qui viennent frapper le sol comme de minuscules éclats de verre froid.
Allaient-ils, Clark et elle, et ce merveilleux miracle des jumeaux, se muer, comme cela semblait désormais l’usage, en un de ces systèmes de garde alternée ? En un dispositif défini et paraphé par un juge ? Du jeudi au lundi avec Mira. Du lundi au jeudi avec Clark. Ou bien une semaine chacun ? Ou de quinze jours en quinze jours ? Jours de vacances pris en compte et partagés en deux parties absolument égales ?
(page 249)
Personne ne naît sans héritage.
Comment avait-elle pu croire pendant toutes ces années, qu'il en était autrement?
Holly aurait dû savoir mieux que quiconque que les gènes sont le destin.
Que le passé réside en soi.
Qu'à moins de le trancher ou de se le faire amputer par opération chirurgicale, il vous suit jusqu'au jour de votre mort.