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Critique de c.brijs


Dans Ma mère à l'Ouest, Eva Kavian aborde le délicat problème du handicap mental et de la maternité.

Un titre qui ne laisse pas indemne comme elle tient à le rappeler en note préliminaire. Un récit que j'ai terminé les larmes aux yeux...

Samantha Betty, 16 ans, émancipée depuis peu, est enceinte. Impossible pour elle de devenir mère. Son choix est clair : l'avortement. Cette grossesse imprévue et non désirée la replonge dans sa propre histoire : ses premières années passées aux côtés d'une mère amour mais simple d'esprit , la séparation déchirante et son placement en familles d'accueil ; une, deux, trois... A chaque fois, c'est l'échec, non pas de sa faute, non, mais de celles d'histoires de grandes personnes... Samantha se blinde et se jure de ne plus jamais s'attacher à une mère !

"Je ne suis pas au "printemps de ma vie", parce que ma vie n'est pas une suite de saisons mais une série de tranches coupées net."

Cette plongée dans son récit de vie poignant nous est proposée en sept tranches, chacune portant un titre avec le mot "mère" : "La mauvaise mère ", "La bonne mère", "La mère parfaite",... "La mère en moi".

Entre ces récits rédigés à la 3e personne, on revient au moment présent de l'héroïne, celui où elle doit décider de devenir - ou pas - mère à son tour. Rédigées en "je", ces transitions d'une ou deux pages nous font partager le cheminement de ses pensées, son évolution psychologique...

Cette façon de faire enrichit notre compréhension du sujet. D'un côté, les faits ; de l'autre, l'éclairage de la principale concernée.

Autre élément original, la présence de-ci de-là de références à ce qui se passe en Belgique et dans le monde : nuit du 12 au 13 août 1961, construction du mur de Berlin, naissance et abandon de Betty, la mère de Samantha ; nuit du 9 au 10 novembre 1989, destruction du mur de la honte et naissance inattendue de Samantha ; 10 juillet 1996, l'abolition de la peine de mort en Belgique et l'arrivée de Samantha dans sa première "vraie" famille ; la découverte des corps de Julie et Mélissa ; le Tsunami ; etc. Autant de dates charnières qui jalonnent l'Histoire de l'humanité et la "petite" histoire de Samantha et de sa mère...

Au lecteur qui s'étonnerait d'un tel amoncellement de malheurs et lui reprocherait d'exagérer, l'auteure l'enjoint - toujours dans cette note préliminaire - à interroger un travailleur social. Elle conseille aussi au lecteur "qui a des problèmes avec les histoires qui le renvoient à la chance qu'il a d'être du "bon" côté de la société choisisse directement un autre roman." !

Plutôt rude comme avant-propos mais Eva Kavian est comme ça, franche et directe. de plus, elle sait exactement de quoi elle parle puisqu'elle a travaillé des années durant comme ergothérapeute en hôpital psychiatrique.

Et ça se sent, particulièrement en fin d'ouvrage où l'on découvre "Le Hameau", ce projet de résidence qui intègre les personnes handicapées dans la vie d'un village. Sa description des différentes personnalités qui y vivent sonne particulièrement juste. Elle y traite aussi d'un sujet encore un peu tabou dans nos sociétés : celui de la sexualité de la personne handicapée.

Mais revenons au coeur de ce roman qui tourne autour de cette question fondamentale : comment devenir mère alors qu'on en a soi-même été privé ? Pour trouver des réponses, Samantha devra replonger dans son passé, retrouver cette mère-amour qui lui a tant manqué, surmonter ses craintes de reproduire un schéma familial semé de souffrances,...

"Il n'y aura pas d'enfant. (...) Il n'aura pas de nom, pas d'histoire, pas de joies, pas de peines. Il n'aura pas le temps d'être débile mental comme sa grand-mère ou débile affectif comme sa mère. (...) C'en est fini de cette filiation d'abandonnées rejetées placées déplacées. (...) Je ne veux pas d'enfant. Point barre. Ni maintenant ni plus tard. Je n'ai pas de modèle pour devenir mère. Aucune de mes mères n'est restée assez longtemps dans ma vie. Elle est révolue l'époque où les femmes qui ne voulaient pas d'enfant passaient pourtant leur vie à en élever, honteuses de ne pas éprouver ce putain d'amour maternel."

Samantha devra aussi trouver, à défaut de mère, LA figure féminine qui lui permettra d'aller de l'avant, de briser cette fameuse loi de Murphy qui lui colle à la peau (1). Ici, il s'agit d'une auteure reconvertie en travailleuse sociale.

"Carole n'était pas une mère. Ni une mère, ni une soeur, ni une amie, ni une psy ou une assistance sociale. C'était une femme intéressante, joyeuse, passionnée. Elle avait une manière de penser à la fois claire, excentrique et lucide qui secouait parfois Sam comme un coup de pied au cul pour monter plus vite les marches d'un escalier sans rampe."

C'est elle qui ajoute les coupures de presse dans son dossier. "Pour qu'elle comprenne que nos petits drames individuels ne sont pas grand chose, quand on prend un peu de distance."

Bref, un récit plein d'émotions et d'espoir qui pose beaucoup, beaucoup de questions... notamment sur la nécessité de mettre en place de structures qui pourraient encadrer efficacement les mères déficientes mentales.
Lien : http://lacoupeetleslevres.bl..
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