AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Dandine


Je ne sais si j'ai de la suite dans les idees mais il m'arrive d'avoir de la suite dans mes lectures. Apres le Memoire de mes putains tristes je me suis plonge dans le livre qui l'avait inspire, de l'aveu meme de Garcia Marquez, Les belles endormies.

J'avais lu ce livre il y a tres longtemps. J'etais jeune et je crois bien que je n'y avais vu, legerement amuse, qu'un texte lubrique. A la relecture, et a mon age avance, je le trouve un peu perfide: un beau texte qui peut susciter, melees, enchevetrees, compassion et indignation. Il incommode et seduit.


Un homme age passe cinq nuits dans une maison, close s'il en fut, ou il peut coucher au cote de jeunes filles endormies. Pas avec, seulement a leur cote. Il ne peut que les toucher, les caresser, leur parler sans espoir de reponse, les humer, les sentir, et s'endormir en revant.

Et justement il reve. Des reves dans son sommeil et des reves eveilles. Et de vieux souvenirs lui reviennent et le hantent. Des souvenirs de femmes. Des amours passageres de sa vie. La jeune fille a qui il vola un baiser quarante ans avant, ses premiers ebats sexuels avec une geisha jalouse, une autre amante avant son mariage, une femme mariee qui fut sa derniere passion de jeunesse, une mysterieuse etrangere avec qui il passa deux nuits quand il avait deja la soixantaine. Mais aussi ses filles, surtout la plus jeune, qui, a son etonnement et a son desarroi, s'ouvrit a la sexualite avant son mariage, et avec qui il fit un voyage memorable vers un temple a la vegetation luxuriante. Et vers la fin s'impose l'image de la premiere femme qu'il ait connu, sa mere. Sa mere, morte de tuberculose quand il etait tout jeune.

Kawabata nous confronte avec la solitude, la tristesse et la demission que peut etre la vieillesse. Les hommes vieux de ce conte ne peuvent plus interesser une femme, ils ne s'en approchent, en catimini, que quand elles sont endormies et ne peuvent les repousser. Ils n'osent rien entreprendre pour amorcer avec elles une quelconque aventure et ne font que ressasser les souvenirs de leurs aventures de jeunesse. Et ces belles endormies sont a l'image de la societe qui ne voit ni entend les vieux, elles ne se rendent meme pas compte qu'ils sont a leur cote, elles ne veulent pas les voir. Et de toutes facons les vieux non plus ne voudraient pas qu'elles les voient dans leur decrepitude, ils ne denudent la ruine qu'est leur corps que quand elles sont endormies. Ce livre est donc un conte sur le passage du temps, qui confronte la senescence impuissante a la verdeur des souvenirs de jeunesse (Verde, que te quiero, verde!). Et sur les rapports entre les generations et les rapports des vieux avec la societe qui les entoure. La societe qui est endormie face aux besoins des plus vieux.

Mais ces vieux ont encore des appetits de libido. Et le livre prend une tournure que je dois en toute conscience qualifier de malsaine. Ce n'est pas l'appetence sexuelle, meme si impuissante, des vieillards, qui est malsaine, mais la sente qu'elle prend dans le livre, la facon de la realiser. Avec de toutes jeunes filles, dont des mineures de 14 ans. Qui plus est, des mineures droguees, inconscientes, qui sont releguees au niveau de viande a l'etal, pire que ca, au niveau d'objets inanimes, de poupees gonflables. La femme-objet. C'est perturbant.

Mais c'est justement la que niche toute la subtile perversite de Kawabata l'ecrivain. Il fait transiter son lecteur entre l'essence masculine et l'element feminin, ou le contraire; entre la tendresse et la luxure; entre le peche et la vertu; entre l'obscurite et la lumiere; entre le reve et la veille; entre les fins et les commencements. Oui, entre la compassion et l'indignation. Entre la comprehension, l'acceptation et l'intolerance. Entre la benediction et l'anatheme. Kawabata a ecrit un livre qui charme et incommode. C'est toute une prouesse.


Ce livre est appreciable. Il n'est pas plus choquant qu'un livre sacre, la Bible: “Le roi David etait vieux, charge de jours; on l'enveloppait de vetements sans qu'il en fut rechauffe. Ses serviteurs lui dirent: Que l'on cherche pour mon seigneur le roi une jeune fille vierge qui se tiendra devant le roi et aura soin de lui; elle reposera dans tes bras et la chaleur reviendra a mon seigneur le roi. On chercha une belle jeune fille dans tout le territoire d'Israel; on trouva Abisag, la Sunamite, et on l'amena au roi. La jeune fille etait fort belle. Elle devint la garde du roi et elle le servit, mais le roi n'eut pas commerce avec elle (Rois I, chap.1)".
Un livre a lire donc, et a savourer justement parce qu'il emeut et remue son lecteur.


P.S. Et moi? Calmez vous, je suis vieux mais pas impotent. N'en deplaise a Mallarme, la chair n'est pas triste, heureusement, et je n'ai pas encore lu tous les livres.

Commenter  J’apprécie          7314



Ont apprécié cette critique (71)voir plus




{* *}