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Critique de Stockard


Ah, les années collège, la jeunesse, la connaissance, l'amitié, toutes ces belles choses qui s'ouvrent à nous et qui par la suite deviendront des souvenirs impérissables... ou pas. En tout cas pas pour le narrateur de Heaven. Pourtant il est plutôt sympa, posé, fait pas de vagues quoi, pour un peu il se fondrait dans la masse. Oui mais voilà, il est atteint d'un strabisme, comment dire... disons qu'il regarde en Bretagne si la Champagne brûle, et un truc pareil c'est presque faire un trop beau cadeau à ceux qui vous tomberaient dessus rien que si vous aviez une mèche pas coiffée dans le bon sens, alors un bigleux, c'est du pain béni pour ces no-life. Et il est seul ce pauvre gars, il encaisse, il a l'habitude, il bronche pas, jusqu'au jour où des petits mots apparaissent ici et là dans ses affaires, sous son bureau... un ami anonyme qui lui dit qu'il n'est pas seul, qu'il s'intéresse à lui, qu'il aimerait discuter etc, et c'est ainsi qu'il apprend, et nous avec, que son mystérieux correspondant n'est ni mystérieux ni masculin, ben non c'est Kojima une fille de sa classe qu'il avait déjà remarqué pour le traitement qu'elle subissait de la part des autres filles, tout pareil que lui sauf qu'elle ne louche pas, non, elle est sale et négligée, ce qui, à l'instar des yeux qui se croisent les bras, justifie largement harcèlement et violence de la part de celles et ceux tellement bien enfoncés dans leur petite case qu'on est même pas sûr qu'on pourra les démouler un jour.

Et les voilà tous les deux, unis on est plus fort, qui entament une correspondance sans presque jamais s'adresser la parole. Se donner un simple rendez-vous devient une vraie croisade mais quelle bouffée d'air pur pour ces deux-là, prêts a accepter leur condition encore plus qu'auparavant puisque, comme le dit Kojima, en ne se révoltant pas, en ne parlant de leur triste sort à personne et en acceptant les coups et les brimades, ils montrent leur force face à des faiblards qui, en groupe et sans danger, s'en prennent à eux constamment.
Difficile pour le narrateur d'accepter cette théorie, lui qui sait bien que Kojima, si elle se présente sous un jour crasseux c'est parce qu'elle a une bonne raison et qu'une fois celle-ci dépassée, il lui sera facile de s'intégrer et de se faire oublier tandis que lui quand il pense à son avenir, où qu'il soit et quoiqu'il fasse, il aura toujours un oeil qui fait le tapin pendant que l'autre guette les poulets...
Alors, et si une opération chirurgicale lui permettait à lui aussi de rentrer dans le rang, est-ce que Kojima prendrait ça pour une trahison ? Peut-être. Sûrement. Il va falloir faire des choix.

Un sujet éprouvant auquel s'attaque Mieko Kawakami qui, sans jamais tomber dans la mièvrerie, nous montre à quel point on ne vous pardonne pas d'être différent, que cette différence soit voulue ou non, surtout à l'adolescence et peut-être encore plus dans un pays comme le Japon. Malgré tout, elle inocule à son roman un courant poétique dont on ressent le souffle à chaque page, c'est triste mais c'est beau aussi, quelque chose dans cette drôle d'amitié qui lie les personnages, l'ambiguïté, l'acceptation d'un sort qu'ils ne songent presque jamais à changer jusqu'à cette fin ouverte et qui donne à voir la place de chacun dans un monde où il arrive qu'on ne la trouve justement pas cette foutue place, la difficulté d'être soi-même, d'être tout court parfois, de toujours faire primer l'apparence au détriment de tout le reste et l'influence pernicieuse mais toujours bien présente des autres qui, eux, semblent n'avoir jamais besoin de votre approbation pour être ce qu'ils veulent être.
Oui, malgré l'écoeurante violence à laquelle sont confrontés les deux protagonistes, le lyrisme l'emporte comme fréquemment dans ce genre souvent magnifique qu'est la littérature japonaise.
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