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Critique de Aquilon62


Il y d'abord cette couverture comme le couvercle d'une boîte à bijoux. Cette couverture ou presque tout est résumé.
Le lieu, ce qui ressemble à l'Italie et plus précisément Sienne dont on devine ce qui semble être la Torre de Mangia du Palazzo Pubblico ;
Deux cavaliers somptueusement vêtus qui font immédiatement penser aux condottiere de cette époque ;
Ces vexillums/étendards ornés de symboles animaux qui font soit penser aux contrades siennoises, soit aux armes des familles de l'époque qui régnaient sur ces villes-états ;
La poussière soulevée sous les sabots des chevaux qui porte dans ses particules en suspension les images du Palio, tradition séculaire, de Sienne.

Et une fois le couvercle/couverture ouvert autant le dire tout de suite le contenant est à la hauteur du contenu.

J'en profite pour un aparté : parfois des traductions de titres sont à notre désavantage (j'y reviendrais dans une autre critique...) parfois c'est à notre avantage car ce livre s'appelait dans sa version originale "A Brightness Long Ago",

Dans la traduction qui nous en est donnée ce livre porte bien son titre, pour une fois, serais-je tenté de dire... "Comme un diamant dans ma mémoire" .
Un diamant c'est quoi une pierre brute qui à la base ne ressemble à "rien", mais qui après être passée entre les mains expertes du diamantaire finira par révéler ainsi toute sa beauté, sa transparence, sa brillance et au final lui donner don éclat ce qui fera sa valeur.

Mais revenons à cet ouvrage. Quelle découverte !!! , je connaissais pas cet auteur avant d'être interpellé par cette couverture.
Et Guy Gavriel Kay est, je peux le dire maintenant, un diamantaire de l'écriture
On s'en rend compte dès les premières lignes :
"Un homme plus tout jeune dans une salle spacieuse, la nuit. Des lanternes et des lampes, des torches fixées à leur monture, une belle table, de hautes fenêtres occultées de volets, des tableaux aux murs dans l'obscurité. Il n'est pas seul. Quoi qu'il en soit, il se prend à repenser à des temps où, jeune, il l'était encore. Cela nous arrive à tous. Un parfum nous emporte, une voix, un nom, un visage qui nous en rappelle un autre...
Des événements sont en cours à cet instant, mais un contretemps est intervenu, une interruption dans la succession des visiteurs, et le passé se rapproche toujours la nuit.
Il se remémore un épisode survenu à l'époque où il étudiait le monde et la place qu'il y occupait. Il ne saurait tout raconter et il ne s'y risquera pas. On ne perçoit jamais que des bribes de l'histoire, même de la nôtre. Elle nous échappe toujours en partie, que ce soit dans nos souvenirs ou nos écrits, dans ce que nous entendons ou lisons. On ne peut saisir qu'un fragment du passé. Parfois, c'est suffisant..."

Cela se passe de commentaire... On est happé, comme un premier reflet, une première facette, qui créera cette persistence rétinienne tant la lumière qui en jaillit est forte, et l'on sent bien que ce livre qu'on tient entre les mains un petit bijou.

Et les pages s'enchaînent très vite et l'on sent que l'on a affaire à un orfèvre de l'écriture, tant on ressent son travail dans une écriture fluide, mais la grande force est de rendre ce travail invisible.
Chaque facette de ce diamant est travaillé. Les personnages, les lieux, les actions, les questions qui sont posées. Car, peut-être est-ce dû à sa formation en philosophie, Guy Gavriel Kay soulève des questions relatives aux choix que nous faisons. Sont-ce les actions qui guident nos choix, nos choix ont-ils une influence sur nos actions.
"Le choix, une fois de plus. Concept fondamental dans son existence. Toutefois, elle savait la nuance subtile. On avait toujours trop tendance à tracer des lignes droites dans le monde, même quand rien ne le justifiait."

Tout cela pour en rendre un magnifique éclat, d'une brillance inégalée....

Pour être honnête, j'ai interrompu ma lecture pour en savoir plus sur cet auteur me disant : "Mais bon sang, comment ai-je pu passer à côté de cet auteur ?"
Pour faire rapide et contextualiser son oeuvre forte de : étudiant en philosophie, il assiste Tolkien sur le "Silmarillion", avant de se lancer dans un univers qu'il qualifie de "fantastique historique". Un mot qui pourrait fait penser à un inévitable cortège d'elfes, de nains et de sorciers, évoquer les luttes dantesques du Bien contre le Mal, d'une magie omniprésente… Or, Guy Gavriel Kay, ce n'est pas ça. Pour être précis : ce n'est plus ça.
Car il le dit lui même : "Notre origine est notre destin", remarque certainement due à son lien avec Tolkien...
Ce terme me laissant un tantinet dubitatif tant on se trouve dans un monde imaginaire mais avec un énorme travail historique.
Car dans ce roman on y retrouve Firente (Florence), Séresse (Venise), Rhodias (Rome), Sarance (Byzance/Istanbul), Bischio (Sienne)....

On dit de son oeuvre : "C'est une transposition. le cadre, les faits, les personnages sont inspirés de lieux, d'événements, d'individus réels, sans prétendre à la véracité historique. Ce qui laisse à Kay une extraordinaire marge de manoeuvre." mais aussi "les ouvrages de Kay ne font pas que troubler les classifications traditionnelles. Au bout du compte, ils remettent en question la distinction entre littérature de divertissement et grande littérature, entre profondeur et page turner."

Et c'est peut-être là que réside le tour de force de l'auteur faire voler les classifications, couper court à tout débat, seul compte le résultat, seule compte la réussite.
Je ressors de ce roman en ayant découvert une écriture à la fois élégante et gracieuse, une narration originale et lyrique, et des personnages par lesquels l'insignifiant prend une signification car mêmes les personnages les plus insignifiants ont leur place dans cette mécanique formidablement bien huilée.

"Elle se demande qui se trouve là aussi, où qu'elle soit. Elle se sent comme suspendue au-dessus d'elle-même. Elle voit ses parents qui pleurent, ainsi que d'autres gens. Mais ce n'est pas le moment de se lamenter, voudrait-elle leur dire. le palais est la proie d'une attaque !
        Elle aurait dû éprouver de la peur. Elle est morte, elle le sait. Mais se prépare-t-on à rencontrer son Seigneur dans la peur ? Elle n'a pas mené ainsi son existence. Elle n'était pas de ces femmes-là. Et elle n'affrontera pas ainsi cette nouvelle étape. Si elle peut l'éviter. Peut-être sent-elle tout de même, en toute franchise, une crainte discrète monter en elle.
         Mais elle n'a eu que si peu de temps... le temps n'est-il pas ce qui compte le plus ? Il lui en aurait fallu davantage. Ce regret, la plupart des défunts le partagent sans doute. On a toujours plus à apprendre, à découvrir. D'autres lieux, d'autres gens. L'amour à trouver parmi les hommes et les femmes. l'connaissance, le rire, des chevaux à monter.
          Rien de tout cela ne lui arrivera plus. Pour elle, c'est fini. À cet instant (car le temps manque toujours, même ici !), ses proches réunis autour de sa dépouille semblent s'estomper, se dissiper, s'évanouir. Lui échapper. Ce qui l'attend commence comme s'achève autre chose. La vie. La vie s'arrête. La sienne. Quel gâchis, se dit-elle.
          Elle se rend compte qu'elle est sortie du grand salon, qu'elle en a traversé le plafond, par extraordinaire ! Elle flotte au-dessus du palais, de la ville. Panorama splendide. Au-dessus du monde entier, elle baisse les yeux... et voit, si loin, le toit où elle se tenait quand. . .
          Les chevaux. Elle aimait tant leur courage, leur vigueur, leur élégance.
          La lumière. le Seigneur la dispense. À certains.
          Elle n'éprouve plus de douleur, au moins. Elle peut encore s'accrocher au courage, à son essence, au souvenir qu'elle en garde, pour aborder ce qui viendra ensuite.
          Et alors son destin vient à elle, pour elle, et elle se fond dans l'air, le clair de lune, pour se perdre et n'être plus."

Je pense que cela se passe de commentaires, je n'entrerai pas plus dans les intrigues car se serait gâcher à d'autres la découverte d'une pépite, au risque de ternir l'éclat de ce diamant...

Mention spéciale à ces chapitres haletants qui nous plonge dans ce que l'on reconnaît comme étant le Palio. On sent le souffle des chevaux proche de nous, les cris de la foule qui résonnent à nos oreilles, nos yeux qui piquent sous le sable projeté à chaque coup de sabot, on sent la peur des cavaliers, les mâchoires serrées devant les risques pris pour quelques secondes de course...

Cette lecture est ma première incursion dans l'écriture de Guy Gavriel Kay, et une choses sûre ce ne sera pas la dernière, tant cet ouvrage est comme un diamant dans ma mémoire...
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