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Critique de BazaR


BazaR
28 septembre 2017
*****
Babelio n'offrant que cinq étoiles, je rajoute celles-ci pour montrer en quelques signes à quel point ce livre m'a bouleversé. Ce plaisir profond de la première à la dernière ligne, on ne l'éprouve que rarement. C'est un grand moment de vie.

Je connaissais la réputation de Guy Gavriel Kay pour la reproduction de grandes périodes médiévales dans des univers qui n'ont guère de fantasy que les noms différents des lieux et des gens. J'attendais depuis longtemps cette réédition des Lions d'Al-Rassan tant elle m'avait été vantée.
L'auteur s'inspire ici d'Al-Andalus, l'un de ces rares lieux où des groupes d'hommes et de femmes aux religions différentes sont parvenues à vivre ensemble, à échanger autre chose que des coups d'épée, et à produire une culture fine et originale. Tout n'est pas parfait en Al-Rassan bien sûr, la méfiance entre communautés existe, les Asharites (musulmans) sont officiellement les ennemis des Jaddites (chrétiens) et tout ce monde méprise les Kindaths (juifs). Mais certains individus sont capables de passer outre, de franchir le fossé, de donner et de recevoir. Ces individus sont tolérants, à l'opposé du fanatisme religieux. Ils aiment rire, ils aiment la poésie et la vie. Ils peuvent être généraux, médecins ou prostituée.

Ce sont certains de ces individus que l'on accompagne sur leurs routes. Ammar le poète et soldat asharite, Rodrigo le jaddite qui fait tellement penser au Cid, Jehane la femme médecin kindath qui pourrait être la fille de Maïmonide, et bien d'autres. le roman est choral, nous donnant l'occasion de pénétrer profondément la psychologie de chacun (pour certains plus que pour d'autres). On s'attache rapidement à eux, profondément, trop.
Le premier plaisir est d'essayer de retrouver notre géographie – ce fleuve, est-ce le Guadalquivir ? cette ville est-elle Cordoue ? cette chaîne de montagne accole la Sierra Nevada aux Pyrénées dirait-on – de retrouver l'Histoire – cette partie retrace-t-elle les débuts de la première croisade ? cette bataille est-elle l'une de celles opposant royaumes chrétiens espagnols et Almoravides ? – Guy Gavriel Kay a un peu simplifié, supprimé les traits non nécessaires, mais il a conservé l'essentiel. Il a gardé beaucoup.

Je ne suis en général pas si sensible au rythme d'une histoire. Ici j'ai eu l'impression d'écouter une symphonie. Une partie d'installation alternant les moments drôles (et même digne du théâtre de comédie) et les moments tragiques, histoire de présenter tout le monde. Une suite qui concentre les héros principaux dans la ville de Ragosa (je penche pour Saragosse) gouvernée par un roi asharite éclairé et un chancelier kindath rusé. Rencontres, admiration, amour. de belles scènes de tactique militaire, beaucoup de scènes amusantes, un carnaval où l'on cherche qui est qui.
Puis le fanatisme religieux dont on entend l'écho lointain, qui installe une longue période de malaise dans le livre, l'intuition que l'on arrive à la fin d'une époque bénie.
Et l'explosion de l'orage.

Les moments dramatiques se succèdent alors, chacun plus énorme que le précédent. J'ai ralenti le rythme de lecture tellement j'étais saturé de sensations à chaque page. Dieu que Gavriel Kay sait bien faire passer l'émotion ressentie par ses personnages. Quel théâtre il nous offre ! Inoubliable.

Puis est arrivé la partie que je n'aurais jamais voulu que l'auteur écrive. Tout mon être s'est hérissé à cette idée. Je ne voulais pas lire cela. Tant que je l'ai pu, j'ai maintenu dans mon esprit deux versions parallèles de l'histoire. Je ne voulais choisir.
Et l'auteur a fait son choix, nous laissant dans l'ignorance jusqu'aux dernières pages. Il cherchait à nous épargner sans doute. La tristesse n'en a été que plus forte à la fin. Mais c'était inéluctable. Al-Andalus était merveilleux, mais Al-Andalus a fini.
De même Al-Rassan.
Al-Rassan entre dans la légende.

Dans cette histoire, on nous dit que les Lions sont les rois des divers pays d'Al-Rassan. C'est une erreur. Les Lions se nomment Ammar, Rodrigo, Jéhane, Alvar ou Mazur.
J'espère rêver encore de les voir venir s'abreuver à la rivière au crépuscule.
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