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Critique de Warrenbismuth


« le jardin des rochers » fut écrit en 1936, directement en français par le grec Nikos KAZANTZAKI (vous remarquerez ici un style neutre voire froid genre ChatGPT). le personnage que nous allons suivre est le narrateur, KAZANTZAKI lui-même. En effet, à une période où il suffoquait et avait besoin d'air, il décida d'aller se ressourcer en Asie. Il témoigne dans ce livre des sensations qu'il a pu éprouver tout au long de son séjour.

Le choix de l'Asie n'est pas anodin. Nous savons que KAZANTZAKI fut très marqué par plusieurs figures historiques : JÉSUS, LÉNINE, NIETZSCHE et… BOUDDHA ! C'est en quelque sorte pour mieux connaître ce dernier qu'il s'engage dans ce voyage, plutôt ce pèlerinage, car il est en quête de BOUDDHA, de cet absolu.

Durant la traversée en bateau, KAZANTZAKI rencontre l'énigmatique Joshiro, femme qui va plusieurs fois réapparaître dans le récit. Mais ce livre est pour l'auteur prétexte à une longue introspection métaphysique quasi mystique : « Nous venons d'un abîme noir ; nous aboutissons à un abîme noir. L'espace entre ces deux abîmes, nous l'appelons la Vie. Aussitôt, avec la naissance, commence la mort ; en même temps le départ et le retour. À chaque instant nous mourons ».

C'est dans une volonté de foi éperdue que KAZANTZAKI aborde l'Asie, par le Japon. Ce qu'il nomme son « aventure intellectuelle » passe bien sûr par des temples, dans une recherche effrénée de la Connaissance. Il se lie avec des autochtones, dont celui-ci, qui lui raconte que le mont Fuji est le coeur du Japon, une divinité. La pensée d'un moine aura sans doute plus tard influencé le titre du volume : « Nos anciens artistes composaient des jardins comme on compose un poème. Travail difficile, complexe, très délicat. Chaque jardin doit avoir son propre sens à lui et suggérer une grande idée abstraite : la béatitude, l'innocence, la solitude ; ou bien la volupté, la fierté et la grandeur. Et ce sens doit correspondre non pas à l'âme du propriétaire, mais à l'âme vaste de ses aïeux ou mieux encore de toute sa race ». Introspections poussées au paroxysme, « Je ne suis qu'un pont provisoire ; quelqu'un passe au-dessus de moi et, aussitôt, je m'effondre derrière lui ». Les allégories sont fortes.

KAZANTZAKI rejoint ensuite la Chine par Shanghai, qui le surprend, « cité sublime et maudite », ville du lucre, de la débauche. Il découvre en Chine la grande rivalité entre ce pays et le Japon, avant qu'on lui conte l'épisode d'une guenon triste à mourir. Rencontre avec Siu-Ian, une femme, parmi d'autres étapes initiatiques alors que « La nuit s'en allait les mains vides ». Est saisi par les petits pieds des geishas. Derrière les portraits féminins se dresse celui de Li-Teh, personnage présent tout le long du récit.

Les habitants parlent : l'interconnexion entre la Chine et le Japon serait souhaitable pour sauver le monde dégénéré, le tout débité sur fond d'opium, la drogue reine. Puis vient cet extrait, bref et intense : l'auteur échange avec un chinois miséreux sur la justice et la vengeance. Li-teh prend la parole, qu'il a caustique : « Votre coeur en apparence si tendre est sec et cruel, comme le coeur de tous les artistes. Vous ne pensez pas à la souffrance de l'homme ; mais à l'expression de son visage et aux intonations de ses cris quand il souffre ». Impossible de savoir si KAZANZAKI acquiesce ou non (ou pire, s'il se révolte) aux paroles qu'il prête à ses protagonistes.

La pierre angulaire de toute l'oeuvre, et au-delà, de toute la vie de KAZANTZAKI, est la Liberté. Ici aussi, en Asie, il la recherche, il la traque, en vain. Ce voyage en forme de quête lui ouvre les yeux sur une autre culture, d'autres modes de vie, de pensées. Il en ressort marqué. « Je me sens exaspéré ; toutes ces voix austères cherchent à imprimer un rythme étranger à ma nature qui ne s'exalte que dans la révolte. Quel est le chemin de l'accomplissement de ma propre loi ? Déranger l'ordre, briser l'étiquette, s'écarter de la voie des ancêtres. Vagabonder dans le défendu, dans les régions fières et dangereuses de l'incertain. Recevoir sans broncher, bien plus : comme une bénédiction, la malédiction du père et de la mère. Avoir le courage d'être seul ». Seul, il ne l'est pas souvent, pas assez dans ce pèlerinage, ayant à peine le temps de se prosterner sur les beautés de la Nature.

« le jardin des rochers » n'est pas d'un accès aisé. Entre contemplation, introspection, échanges métaphysiques et/ou philosophiques, il oblige à garder les sens éveillés, d'autant que le choix d'écriture se porte vers une poésie épique d'une puissance rare. le format « roman » n'est bien sûr qu'un prétexte à KAZANTZAKI pour avancer ses idées, ses espoirs, ses désillusions, le reste n'est que décor. Il n'est pas précisément un récit de voyage vu le peu de paysages que dévoile l'auteur, il n'est pas non plus un documentaire dans le sens strict puisqu'il est fait de souvenirs personnels. Et bien sûr, vous l'aurez compris, il ne peut être restreint au rang de roman. Les éditions Cambourakis l'ont réédité en 2018, ainsi que presque toute l'oeuvre de l'auteur, travail toujours en cours il me semble.

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