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Critique de mimo26


Telstar” est le deuxième roman de Stéphane Keller et si vous n'avez pas lu le premier “Rouge Parallèle” également sorti dans la collection “Toucan Noir”, l'an dernier, commencez donc par celui-ci qui se déroule 6 ans avant et nous fait découvrir certains personnages au centre de l'action du deuxième.

Aux USA, en littérature comme au cinéma, on a très vite raconté le Vietnam. En France, l'histoire de cette guerre de 8 ans est restée longtemps quasiment sous silence. Pourtant les mêmes plaies, la même défaite, les mêmes conséquences sur les appelés envoyés sur place massacrer ou se faire massacrer ou revenir marqués à vie ou complètement dézingués. D'ailleurs, on ne parlait pas de guerre mais des “événements d'Algérie”, pas de combats mais de “pacification”. A Alger, en décembre 1956, plus de cent attentats perpétrés. On décide d'envoyer 8000 paras et légionnaires, pas le tout venant, l'élite dure. L'armée française a besoin de redorer son blason après la débâcle de 40, la défaite en Indochine contre des va-nu-pieds, l'issue frustrante de l'histoire du canal de Suez. On est prêt à en découdre chez les maîtres de guerre. La troupe exécutera les ordres et… « les indigènes » et l'armée respectera sa réputation de “ Grande Muette”.

La quatrième de couverture évoque en premier une intrigue policière mais déjà souvent lue de tueur de petites filles mais c'est ce cadre algérien et algérois qui donne à son roman tout son éclat, sa puissance. On n'est pas ici dans un petit polar à deux balles, on est confronté à un épisode peu glorieux de notre histoire nationale et parfois on peut très bien ressentir une certaine honte quand le drapeau légitimise ainsi l'innommable.

Stéphane Keller, scénariste pour la télévision, le cinéma et le théâtre s'attaque donc à cette bataille d'Alger dans le décor de cette province française en 1957, statut colonial particulier, Alger étant d'ailleurs considérée comme la deuxième ville française par sa dimension.
L'auteur adapte parfaitement ses compétences audiovisuelles à la littérature noire pour écrire une histoire particulièrement passionnante dans ses différentes dimensions humaines, socio-démographiques, politiques et historiques entraînées par une enquête policière mettant en scène deux flics représentants de deux France, celle d'Algérie et celle de la métropole.

Les 500 pages s'enfilent très vite, le roman a le souci d'être précis, pointilleux, parfois un peu trop même dans certains détails très superflus mais il y a le souci d'authenticité et ce n'est jamais blâmable, surtout quand on met les pieds dans un tel bordel. Stéphane Keller fait parfaitement conjuguer les histoires personnelles avec la grande Histoire. Les personnages sont parfaitement dessinés, révélant des mentalités parfois difficilement compréhensibles en 2019. On est dans un monde encore frappé par la barbarie de la deuxième guerre mondiale mais peu importe, l'armée va utiliser certaines méthodes des nazis, elles-même, adaptées des us et coutumes de Napoléon quand il avait occupé le territoire allemand au début du 19ème siècle.

Bien sûr, faut-il le dire, cette guérilla urbaine, cette guerre sans nom aux sales méthodes qui inspireront les Ricains ainsi que la gestion de pas mal de conflits sud-américains des années 60 et 70, ne vous offrira pas des heures confortables. Les deux clans, armée française et le FLN (parti toujours au pouvoir en Algérie et objet des manifs du vendredi à Alger depuis quelques mois), adoptent et améliorent la loi du talion dont les plus grandes victimes seront souvent les populations civiles innocentes, “européennes” et “indigènes” (selon les termes de l'époque). Tout le monde, à sa manière, revendique, la légitimité du combat, l'inéluctabilité de la loi martiale comme celle des massacres de fermiers dont le sang abreuvera leurs terres natales occupées certes mais aussi cultivées depuis des décennies. Pas de manichéisme chez Stéphane Keller, beaucoup d'intelligence par contre pour couvrir le chaos dans son universalité.

Telstar” est un roman noir fort, puissant témoin d'un moment où la France de la IVème République, pays de la Révolution, De Voltaire, des Lumières est confrontée au “droit des peuples à disposer d'eux-mêmes”.
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