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Critique de Ingannmic


Comment, face à l'impossibilité de faire partager à autrui l'exacte dimension de ce qu'on a vécu, exprimer l'horreur ?
Et comment, lorsque l'on évoque cette horreur a posteriori, restituer la façon dont elle a été découverte et perçue in situ ?

Telle est la tâche à laquelle s'attelle Imre Kertész dans "Etre sans destin", où il revient sur l'expérience de sa déportation. A l'âge de quinze ans, l'adolescent hongrois est déporté à Auschwitz puis à Buchenwald.

Son souci de fidélité, de justesse, l'amène à vouloir se débarrasser de tout ce qui, dans son jugement d'adulte, dans le recul pris avec les années, modifie, fausse sa perception de ce qu'il a vécu dans les camps. Pour cela, il se contente le plus souvent de dépeindre des faits, comme s'il voulait, en mettant le lecteur face à ce matériau brut, créer les conditions maximales d'une mise en situation, et ainsi l'inciter, étant vierge de toute émotion évoquée par le narrateur, à réagir avec les siennes propres.

Cette démarche atteint sans doute son but, en nous déroutant, pour finir par nous mettre complètement mal à l'aise. le récit nous installe dans une temporalité particulière, sorte de présent immuable, ponctué par une banalité à la fois routinière et macabre, un quotidien qui paraît absurde tant l'horreur y passe pour quelque chose de naturel, d'admis.

La montée de ce sentiment de mal-être est progressive, mais commence bien avant l'arrivée du narrateur dans le camp d'Auschwitz, avec le ton qu'utilise l'auteur, d'une candeur qui pourrait paraître inappropriée, mais qui permet de doter son récit d'une dimension kafkaïenne finalement légitime...

Son héros, double de lui-même, considère ainsi les événements avec une ingénuité et un enthousiasme désarmants, semblant ignorer la possibilité du mal. Il trouve, lorsqu'il le découvre, beaucoup de charme au camp de Buchenwald, et admire la rigueur allemande dont la réputation, comme il le constate, n'est donc pas usurpée ! Il subit avec passivité la faim, le froid, accepte comme allant de soi l'omniprésence de la mort, l'idée de la torture, et de l'humiliation. A aucun moment il ne remet en cause les fondements de ce système dans laquelle il se fond, ni ne s'interroge sur l'injustice et la violence de la situation. Il est comme englué dans une mécanique à la fois sans fin et immédiate, qui a débarrassé son esprit de tout souvenir du passé et de toute capacité à imaginer l'avenir.
Peu à peu, sa conscience de lui-même, à l'image de son intégrité physique, se délite, pour ne devenir plus qu'une vague sensation. Il en vient même à oublier son nom...

Tout cela fait "d'Etre sans destin" un récit où le grotesque et l'horreur forment une étrange osmose, dont l'apparente désinvolture rend d'autant plus assourdissant le cri de désespoir suscité par le caractère indicible de l'expérience concentrationnaire.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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