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Critique de LivresGay


J'ai enfin, enfin, enfin pu me pencher sur ce roman, qui attendait patiemment dans ma PAL le moment où je l'ouvre… et le savoure. Car oui, c'est ce que j'ai fait. J'ai savouré, j'ai pris mon temps, j'ai avancé à un rythme langoureux, laissant les mots, les paragraphes, les scènes fondre sur ma langue tels des bonbons, gardant en bouche un goût sucré-acidulé, même peut-être un petit arrière-goût amer de cette amertume que l'on associe à la nostalgie, aux tristesses des choses que l'on aurait aimé voir différemment mais que l'on apprécie tout de même car elles se sont révélées telles qu'elles doivent être plutôt que telles que l'on aurait aimé qu'elles soient.

Alors, Thomas. le protagoniste. Il m'accueille sur la première page avec toute sa vie étincelante de jeune Américain des années 60 pour… me quitter à la page suivante, fauché par une rafale de kalachnikov brandie par un combattant Viêt-Cong. PAN. Un début tonitruant, déchirant. Mais en fait, il n'y a que le corps de Thomas qui gît dans la jungle, mort et prêt à se décomposer. L'esprit, l'âme de Thomas restent avec moi. Et cette âme, après avoir patienté sur place, aussi hébété que moi après ce démarrage en trombe, se secoue à un moment, s'étonne de la réalité quelque peu terne, quelque peu estompée, quelque peu en sourdine qui l'entoure. Et s'envole à travers monts et plaines, à travers les océans, pour retourner là où Thomas a vécu ces quelques années avant de s'engager dans l'armée US : San Francisco. À sa grande surprise, il constate que cinquante années se sont écoulées et que bien des choses ont changées entre-temps.

Sur un coup de tête, il suit un jeune homme jusqu'à son appartement, mu par une attirance qu'il ne saurait s'expliquer. Ce jeune homme, chef d'une entreprise créée par lui-même, c'est Adrian. le beau, le vibrant Adrian. Gay, célibataire, il souffre du mépris de son père, qui ne digère pas sa sexualité. Et Thomas, en s'incrustant en fantôme dans la vie d'Adrian comme un voyeur invisible avide de savoir, de connaître, commence à tomber éperdument, désespérément amoureux de ce jeune homme fragile mais déterminé, qui n'a pas peur de monter ses failles, de vivre ses fantasmes jusqu'au bout. Thomas le suit partout, et rapidement, son état de fantôme sans corps mais avec toute la panoplie des espoirs et souffrances d'un humain vivant commence à le faire souffrir…

Gabriel Kevlec parle d'amour, dans ce roman. Bien sûr, car Gabriel parle toujours d'amour, sous toutes ses formes, dans toutes ses couleurs, avec tous ses beaux côtés comme ses aspects les plus sombres. L'amour peut être une étoile étincelante, il peut être un abîme sans fond, il peut mener à des découvertes fulgurantes de bonheur, il peut entraîner les maux les plus affreux. En employant la technique astucieuse du voyeur invisible, Gabriel m'a permis non seulement de me glisser dans la peau d'une âme sans corps – Thomas, qui dans des flashbacks poignants compare la situation d'Adrian à la sienne quand il était encore en vie et amoureux d'un garçon – mais aussi dans celle d'un corps sans esprit, si j'ose dire. Car Thomas, par le truchement de son état, peut habiter le corps de son bien-aimé, le temps d'une danse, pendant une nuit de sommeil, durant une session de fisting dans un club anonyme ; il peut ressentir les sensations de ce corps « de location », mais jamais, au grand jamais, il ne peut toucher au noyau d'Adrian, jamais, il n'a accès à ses pensées, ses émotions, et jamais non plus, il ne peut le toucher pour de vrai, peau à peau, doigts à poitrine, alors qu'il en meurt d'envie (façon de parler – il est déjà mort, après tout).

Gabriel navigue sur ce récit avec une plume sûre, claire, parfois presque impitoyable, toujours d'une grande finesse, d'une belle poésie. Ses mots m'ont fait entrer dans la narration, m'ont fait habiter le personnage principal, m'ont offert l'expérience d'une histoire hors du commun. J'ai rayonné, j'ai grelotté, j'ai admiré et craint et désespéré avec Thomas tout au long des quelques 200 pages de ce roman, jusqu'au dénouement que j'aurais souhaité heureux, forcément heureux, pauvre petite fleur bleue que je suis, et qui pourtant s'est abattu sur moi avec l'inéluctabilité d'une trame de tragédie grecque. Rien n'est de trop, dans ce récit, et rien ne manque. Juste un équilibre parfait entre soleil et lune, nuit et jour, désirs et réalité.

Notons un exploit considérable : moi qui ne suis pas friand de scènes trop kinky et encore moins de BDSM (à chacun ses goûts), j'ai beaucoup apprécié les scènes du genre que Gabriel a inclues dans son récit. Car… ça peut être glauque, ça peut être crade, ça peut répugner quiconque n'en est pas adepte. Sauf si c'est nécessaire à l'histoire, essentiel à un des caractères et si bien écrit que l'on dévore les descriptions. Ne vous attendez pas à me voir bandouiller dans un sling dès demain, derrière offert au premier poing venu, quand même. Je ne suis pas un converti. Mais je reste en admiration devant cette écriture qui paraît sans effort, simple, légère, et qui m'emmène à des endroits que j'aurais normalement évités.

Je pense que En toi est, pour l'instant, mon préféré des romans de Gabriel Kevlec (j'ai déjà parlé de Cordons et du Choix de l'oranger). Je pense que cette chronique est explicite. Je vous exhorte donc à m'imiter et à le savourer à votre tour, si ce n'est pas déjà fait.
Lien : http://livresgay.fr/en-toi-d..
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