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Critique de Zoeprendlaplume


Des fleurs pour Algernon est un roman montagneux. Il est construit sur ce relief et traduit également le rythme du marcheur : une lente montée, puis le sommet, et enfin la redescente, toujours plus rapide. Et cette construction est faite en symétrie, puisque le test effectué sur Algernon précède l'expérience vécue par Charlie. Comme en miroir, on sait donc à quoi s'attendre dans le roman. Ce qui fait craindre à chaque instant l'arrivée sur le sommet. Difficile, d'ailleurs, de se réjouir durant la montée des progrès effectués par Charlie, car l'on sait ce qui se produira ensuite.
C'est un trajet que nous, lecteurices, expérimentons pleinement, aux côtés de Charlie. Tout d'abord parce que le roman est raconté par sa voix, alternant récit, comptes-rendus officiels et journal daté. On sait donc tout ce qui lui passe par la tête : ses questionnements, ses doutes, son changement de perception, etc. D'autre part parce que l'écriture accompagne également la courbe du roman. Tout au début de celui-ci, l'écriture est volontairement épouvantable, difficile à lire; c'est du français phonétique. Peu à peu, les fautes disparaissent puis la structure des phrases se complexifie davantage. On retrouvera en miroir, en fin de texte, ce français approximatif.
Enfin, il y a tout un parcours personnel effectué par Charlie dans le temps, en parallèle. Plus il devient savant et intelligent, plus il se souvient de son passé, qu'il reconstruit peu à peu avec un nouveau regard. Il va alors vouloir faire la paix avec lui, pour mieux préparer l'avenir, et ce qui l'attend. Charlie est dans un entre-deux perpétuel : il veut aller de l'avant, vite, mais ne cesse de regarder derrière. Cela rajoute du dynamisme au roman, et cela traduit les hésitations, peurs, craintes inconscientes du personnage. Concrètement, cela amène une sorte de dédoublement du personnage, avec un Charlie du passé qui dialogue avec le Charlie du présent. Assez complexe mais cohérent avec l'exploration de la psyché du personnage.

Certaines personnes pourraient le trouver trop mélodramatique, d'autres vraiment difficile… D'ailleurs, on m'avait recommandé le paquet de mouchoirs au cas où. Personnellement, je n'en ai pas eu besoin, parce que j'ai su prendre énormément de distance avec le personnage et son sort.
D'abord, parce que la première partie est assez mélodramatique, c'est vrai. Il y a un côté très tragique, surtout à la fin, je ne vais pas dire le contraire (mais du coup, assez théâtral et artificiel, aussi). Mais le plus dur se situe surtout au début, quand Charlie se souvient de son enfance. On se demande ce qui n'est pas arrivé au pauvre Charlie dans sa jeunesse. J'imagine néanmoins sans peine que ce calvaire n'est que le reflet de ce qu'ont pu vivre des personnes dans une même situation de handicap. C'est déjà difficile aujourd'hui, alors il y a 50 ans… Malgré tout, le pauvre Charlie, le pauvre pauvre Charlie… tous ses malheurs m'ont un peu lassée.
Ensuite, quand il devient savant et cultivé, Charlie devient carrément arrogant, pénible et détestable.
Enfin, les rajouts du roman par rapport à la nouvelle autour de la vie sentimentale de Charlie m'ont gonflée. Ce n'est pas totalement inintéressant, parce que la maturité émotionnelle et sexuelle et Charlie suit un cours plus lent que son développement intellectuel. Mais ses tergiversations amoureuses pendant des plombes m'ont un peu lassée. La romance selon moi prend trop de place. Bref, c'est long, c'est larmoyant, et j'ai trouvé ça très… "feux de l'amouresque".
Il y a donc dans ce roman un fort pouvoir émotionnel, mais peut-être justement un peu trop. Ce qui m'a permis, de mon côté, de réfléchir aux véritables enjeux du roman.

Alors, que retiendrai-je de ce roman, en dehors de sa structure remarquable ?
D'abord, la démonstration parfaite de l'expression « rat de laboratoire ». Evidemment, parce qu'Algernon est une souris. Mais aussi et surtout parce que Charlie est un cobaye. Humain certes, mais cobaye. D'ailleurs, humain… C'est l'un des premiers enjeux du texte : la reconnaissance de l'humanité de Charlie. Considéré comme trop bête pour être totalement un humain pour autrui, puis trop intelligent pour en être encore un. Il est une « créature », le monstre de Frankenstein/Nemur. Plusieurs fois il est d'ailleurs fait référence à ce roman. D'ailleurs, le personnage le reconnait plusieurs fois et s'en plaint : il n'est jamais vu comme un humain à part entière, jamais.
D'autre part, j'ai aimé la réflexion autour de l'intelligence. Qu'est-ce qui fait l'intelligence ? le QI ? le roman établit le postulat que non. Charlie acquiert une culture, une facilité de compréhension, d'apprentissage, une rapidité de réflexion. Mais il perd énormément en empathie, en sagesse. Comme si, plus on évoluait intellectuellement, plus on régressait sur le plan social et effectif. A ce titre, le retard de son évolution émotionnelle et sexuelle est très intéressant (même si traité de manière trop romanesque).
Par ailleurs, le roman aborde, plus que la nouvelle d'ailleurs, les expériences génétiques effectuées sur Charlie. C'est intéressant de comprendre, même si ce n'est pas non plus l'enjeu principal du texte. L'auteur ayant fait des études de psycho et de psychanalyse, l'exploration de la psyché de Charlie est vraiment au coeur du roman. Et c'est à la fois passionnant et très bien construit, avec un gros souci de réalisme, notamment dans les échanges avec son psy.
On a un bonhomme qui devient artificiellement intelligent et qui régresse. Comment le vit-il ? Comment perçoit-il les choses ? Les réapprend-il ? Comment renoue-t-il avec son passé ? L'impact physique de ces bouleversements est également remarquablement traité. On sent ici que l'auteur sait de quoi il parle et que toutes ces questions le passionnent. Son essai autobiographique revient d'ailleurs sur cette idée de l'amélioration artificielle de l'intelligence qui l'a passionné toute sa vie.
Enfin, évidemment, le roman est très critique sur le regard porté par la société sur le handicap. Tant par autrui que par les institutions en place. Glaçant de constater que Charlie intelligent rit de son lui passé, et de situations similaires vécues par d'autres personnages… avant de se rendre compte de quoi et de qui il se moque.
L'intelligence corrompt-elle l'âme, définitivement… ?
Lien : https://zoeprendlaplume.fr/d..
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