Les arbres ne portaient plus de fruits mais les branches s'écroulaient sous le poids des pendus.
A l'entrée du village, des dizaines d'arbres s'ornaient de corps raidis d'Arméniens endimanchés. Des milliers de mouches s'agglutinaient autour des narines er des bouches ouvertes.
C'était pourtant un joli petit village fleuri. Deux fontaines coulaient, des fleurs poussaient dans les jardins des maisons. Une trentaine d'enfants gisaient sur les marches de l'église en costume de communiants.
Je suis écoeuré par l'odeur de l'encens, dit le curé du couvent. Vivement qu'on prenne les armes. Certains jours, il m'arrive d'ajouter de la poudre dans l'encensoir!
Nous ne sommes pas des hommes mais des renards, des loups, des chacals. Nous chassons la nuit, nous dormons à la belle étoile, nous égorgeons quelques Kurdes. Voyez-vous ce bras? C'est le bras de la vengeance!
Devant les yeux de Bontemps se déroulait une mosaïque changeante de races, de religions qui se compose et se décompose continuellement avec une rapidité qu'il était incapable de suivre. Et voilà le porteur d'eau avec une outre colossale sur le dos, une femme russe à cheval, un groupe de soldats impériaux, vêtus en zouaves, une horde de portefaix portant sur leurs épaules, deux par deux, de longues barres auxquelles sont suspendues d'énormes ballots de marchandise. Un concert de voix exotiques, de notes gutturales, d'interjections incompréhensibles, et voilà encore des groupes de Circassiens qui s'en vont à pas lents, de grands gaillards barbus portant un bonnet en fourrure, un long cafetan noir, un poignard dans la ceinture et une cartouchière d'argent sur la poitrine te tout ce monde mêlé à des pèlerins revenus de la Mecque, à des frères dominicains, des derviches, des jésuites, et quelques Européennes habillées comme la dernière gravure de mode. Et que dire des chameaux, des chevaux, des chaises à porteurs, des charrettes, des tonneaux qu'on roule et des hordes de chiens...